Déclaration de KAIROS à l’occasion de la Journée d’action mondiale contre la domination de la dette, le 8 décembre 2004
La dette des pays en voie de développement a atteint 2,4 billions de dollars à la fin de 2003, presque quatre fois et demie autant qu’en 1980 alors qu’on s’apprêtait à vivre la crise internationale de la dette. Depuis lors, les pays en développement ont versé pour le service de la dette environ neuf dollars et demi pour chaque dollar qu’ils devaient en 1980. Les nouveaux prêts ont servi principalement à refinancer d’anciennes dettes, et non à des investissements positifs pour le développement humain ou économique.
Aujourd’hui que KAIROS marque la deuxième Journée annuelle d’action contre les dettes injustes et illégitimes, nous renouvelons notre appel pour l’élimination des dettes qui ont été payées et repayées de nombreuses fois. Nous exigeons également que les pays appauvris soient libérés des désastreux programmes d’ajustements structurels (PAS) que leur imposent les créanciers.
Cinq faits ont contribué à renforcer, au cours de l’année écoulée, les espoirs d’une annulation des dettes injustes et illégitimes.
1) L’allégement des dettes bilatérales se révèle insuffisant face au poids des dettes multilatérales.
La somme de l’allégement des dettes bilatérales (de pays à pays) consenti par le Canada à 14 pays à faible revenu a atteint environ 609 millions $ CA en novembre. Si cinq pays à faible revenu persistent à appliquer les PAS du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, le Canada annulera un jour une autre tranche de 379 millions $ CA de leur dette bilatérale. Ainsi le montant total d’annulation par le Canada de dettes bilatérales de pays pauvres pourrait atteindre près d’un milliard de dollars.
Mais pour tout dollar d’allégement de la dette consenti par le Canada, les pays de l’Afrique sub-saharienne doivent 94 $ aux institutions financières multilatérales, principalement à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement.
Le Canada se doit de prolonger le leadership affiché en étant le premier pays à remettre 100 % des dettes bilatérales et de prendre l’initiative de faire en sorte que soient effacées inconditionnellement les dettes des pays à faible revenu envers les institutions multilatérales.
2) Des gouvernements du G-7 reconnaissent l’échec de l’initiative PPTE.
Quelques-uns du Groupe des sept pays industrialisés ont reconnu que l’initiative officielle des Pays pauvres très endettés (PPTE) fut un échec. Le ministre canadien des Finances Ralph Goodale a fait remarquer que six des onze pays africains ayant complété la démarche PPTE ont encore des dettes jugées « insoutenables » et que de nombreux pays à faible revenu doivent faire aux institutions multilatérales des paiements trop élevés en comparaison de leur capacité de payer et de leurs besoins sociaux.
Et de fait, des 27 pays qui se sont qualifiés pour un allégement de la dette en vertu de PPTE, neuf ont dû ou devront faire des paiements pour le service de la dette plus élevés après avoir bénéficié d’un « allégement » de dette PPTE qu’avant.
Le Royaume-Uni et les États-Unis ont proposé d’annuler jusqu’à 100% des dettes de certains pays à faible revenu envers les institutions financières internationales. Mais les ministres des Finances du G-7 n’ont pas encore accepté de payer pour cette remise de dettes.
Le Canada se doit d’obtenir l’accord des créanciers pour couvrir les coûts de la remise de 100 % des dettes multilatérales. Les ressources devraient provenir de la vente ou de la réévaluation d’une portion des avoirs en or du FMI, de l’utilisation des réserves pour pertes sur prêts et des bénéfices non répartis de la Banque mondiale, et (uniquement si nécessaire) de l’utilisation de nouvelles enveloppes d’aide publique au développement.
3) Certains pays du G-7 ont commencé à remettre en question les conditions imposées par la Banque mondiale et le FMI.
La Grande-Bretagne a publié un document qui remet en question les conditionnalités dans des domaines telles la privatisation et la libéralisation du commerce. Le ministre Goodale a reconnu la nécessité pour les donateurs « de se sensibiliser davantage aux situations locales, en particulier en ce qui concerne la conditionnalité de réforme structurelle ».
Mais jusqu’à présent, les gouvernements du G-7 n’ont pas remis en cause les principales réformes en matière de politique macroéconomique imposées par le FMI, qui n’ont pas manqué de stimuler la croissance mais ont dans les faits aggravé la pauvreté.
KAIROS continue d’insister pour que l’allégement de la dette ne soit pas lié à la condition de mettre en œuvre les programmes d’ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale. Vingt ans d’expérience des PAS ont entraîné des niveaux décevants de croissance économique, d’efficacité et de compétitivité, une mauvaise allocation des ressources financières, la destruction des capacités nationales de production, une détérioration généralisée de l’environnement, et la croissance de la pauvreté et des inégalités.
4) La reconnaissance de facto qu’on n’a pas à remettre les dettes odieuses.
Les créanciers gouvernementaux ont reconnu de facto que les dettes de l’Iraq sont « odieuses », c’est-à-dire des dettes contractées par un régime dictatorial à l’encontre des intérêts de la population, sans le consentement de cette dernière, et les créanciers en étant pleinement conscients.
Un large éventail de la société iraquienne souligne avec force qu’une fois instauré un gouvernement démocratiquement élu, les dettes laissées par la dictature de Saddam Hussein doivent être déclarées odieuses et n’ont pas à être remises.
Nous de KAIROS exigeons que ni le peuple de l’Iraq, ni les citoyens de quelque autre pays anciennement sous la férule de dictateurs ne soient obligés de payer les dettes odieuses. De même, les dettes contractées par d’autres dictateurs notoires, tels Mobutu Seseko qui régna d’une main de fer sur le Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo) de 1965 à 1989 ou encore les généraux qui ont mené une « guerre sale » contre le peuple de l’Argentine de 1976 à 1983, sont des dettes odieuses et n’ont pas à être payées.
5) Les dettes dont le paiement empêche la réalisation du droit fondamental des peuples à la nourriture, au logement, aux soins de santé et à l’éducation sont illégitimes et n’ont pas à être payées.
On reconnaît de plus en plus qu’on ne pourra pas réaliser les objectifs de développement du millénaire (ODM), qu’on s’est officiellement engagé à atteindre, tant et aussi longtemps que les pays appauvris auront à rencontrer les paiements de leur dette extérieure. Les ODM comprennent l’engagement à réduire de moitié la proportion des personnes vivant dans la pauvreté extrême et qui souffrent de la faim, à dispenser universellement l’éducation de base, à éliminer de l’éducation la discrimination fondée sur le sexe, à réduire des deux tiers la mortalité infantile et des trois quarts, la mortalité liée à la grossesse, à stopper l’expansion du VIH/SIDA, du paludisme et des autres grandes maladies, et à couper de moitié le nombre des personnes n’ayant pas accès à de l’eau potable – tout ceci pour 2015.
Les gouvernements de l’Afrique dépensent en moyenne 14 $ US par personne par année pour le service de la dette, mais uniquement 5 $ US par personne pour les soins de santé. Alors que 25 millions de personnes vivent avec le VIH/SIDA en Afrique, comment les créanciers osent-ils collecter de ces pays appauvris ne serait-ce qu’un seul dollar en paiement de la dette?
Par conséquent, en cette Journée d’action, nous de KAIROS demandons au gouvernement du Canada de :
- APPUYER l’annulation immédiate et sans condition de 100 % des dettes que les pays à faible revenu ayant besoin de l’annulation de leur dette doivent aux institutions financières multilatérales, afin de réaliser les objectifs de développement du millénaire.
- FAIRE EN SORTE de mettre fin aux programmes d’ajustements structurels comme condition d’annulation des dettes, et qu’ainsi les pays bénéficiant d’une telle annulation de leur dette soient libres de mettre en œuvre leur propre stratégie nationale de développement.
- RECONNAÎTRE que ni la population de l’Iraq, ni les citoyens d’autres pays anciennement sous la férule de dictateurs ne soient obligés de payer les dettes odieuses.
- GARANTIR aux pays appauvris un financement adéquat incluant l’allocation de 0,7 % du produit national brut à l’aide publique au développement, non comme un geste de charité, mais comme juste réparation pour l’exploitation passée.