Correspondence à John Ruggie sur les "HRIA" - le 24 septembre, 2006

Le 24 septembre 2006

Professeur John Ruggie
Représentant spécial de l’ONU chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés nationales et autres entreprises
Harvard University
John F. Kennedy School of Government
79 John F. Kennedy Street
Cambridge, MA 02138

Télécopieur : (617) 496-0063

Objet : Principes généraux relatifs aux études d’impact sur les droits humains

Cher Professeur Ruggie,

Nous aimerions partager avec vous notre opinion collective sur les principes généraux relatifs aux études d’impact sur les droits humains (EIDH). Cette opinion émane d’une rencontre organisée par Droits et Démocratie à Johannesburg, Afrique du Sud, du 21 au 24 septembre 2006, portant sur les études d’impact sur les droits humains menées par les communautés locales.

Lorsque nous avons entrepris, en 2004, un projet s’échelonnant sur trois ans consistant à élaborer et à mettre à l’essai une méthodologie d’étude d’impact sur les droits humains, nous savions que la tâche qui nous attendait était loin d’être simple. Depuis des années déjà, nous analysions les liens entre les droits humains et la mondialisation économique, et avions amplement pu constater que les débats entourant les investissements étrangers directs prenaient souvent le devant de la scène. Nombre de controverses portaient sur l’exploitation minière ainsi que les projets pétroliers et gaziers, et en cette matière, les points de vue des communautés locales, des gouvernements et des grandes entreprises ont toujours été et demeurent encore diamétralement opposés. Cependant, nous étions d’avis qu’une méthodologie permettant d’évaluer les répercussions de ces projets sur les droits humains dans le cadre d’une démarche axée sur la collaboration constituerait une importante contribution à la résolution de
ces problèmes complexes et récurrents.

Si nous reconnaissons que l’investissement n’est en lui-même ni bon, ni mauvais pour les droits humains, l’expérience a montré que pour que les projets d’investissement étranger direct contribuent véritablement au développement, leurs impacts sur les droits humains doivent être pris en compte. Or nous avons pu constater que ceux qui prennent les décisions en matière d’investissements – c’est-à-dire les gouvernements et les entreprises – omettent généralement de tenir compte des impacts de leurs projets sur les droits de la personne. Nous avons entrepris notre projet en partant de l’hypothèse que si les gouvernements et les entreprises prenaient la peine d’examiner de plus près les effets de leurs investissements sur les droits humains, ces droits seraient mieux protégés. Mais il manquait quelque chose pour que cela soit possible, c’est-à-dire l’élaboration et la mise en œuvre d’une méthodologie permettant de prévoir et de documenter les répercussions desdits investissements sur les droits de la personne.

Pour établir des liens entre les droits et l’investissement, il est nécessaire de procéder à une analyse nuancée, en particulier dans les contextes aux multiples facettes qui caractérisent de nombreux projets. Tenir compte des droits humains signifie, entre autres choses, examiner les droits des peuples autochtones, les questions liées aux inégalités entre les sexes, les conflits et les contextes articuliers dans lesquels s’inscrivent les projets d’investissement. Le « recours » présente une
grande importance et se trouve au cœur de cette analyse sur les droits humains ; dans notre cas, il signifie la possibilité, pour les personnes affectées par les projets d’investissement, de réclamer le respect de leurs droits humains.

La méthodologie que nous sommes en train de mettre au point constitue en fait une systématisation de la démarche que de nombreuses communautés entreprennent de façon informelle depuis fort longtemps : l’évaluation des impacts positifs et négatifs des projets d’investissements sur leurs droits. Ce processus de systématisation nous a permis d’établir une série de principes et de critères que nous considérons appropriés dans le contexte d’une étude d’impact sur les droits humains menée par la communauté.

Parallèlement à notre travail d’élaboration de cette méthodologie, nous tentons d’influer sur le débat plus large portant sur l’ampleur et la nature des études d’impact sur les droits humains. À la lumière de notre travail, nous proposons la série de principes suivants, qui vise à permettre aux entreprises et aux gouvernements d’établir des méthodes systématiques et crédibles d’étude de l’impact des investissements étrangers directs sur les droits humains. Ces méthodes pourraient être intégrées dans les cadres nationaux et internationaux en matière de normes et de réglementation.

  1. Tous les projets d’investissement étranger direct devraient être soumis à une EIDH d’ampleur proportionnelle aux répercussions prévues sur les droits humains. 
  2. L’EIDH devrait être effectuée de façon détaillée et approfondie, et tenir compte de tous les droits contenus dans la Charte internationale des droits de l’homme, les conventions de l’Organisation internationale du travail, la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones et les autres normes applicables.
  3. L’EIDH devrait avoir pour objectif premier d’éviter les impacts défavorables des projets sur les droits humains plutôt que d’atténuer ces impacts.
  4. L’EIDH devrait être effectuée par un organisme compétent et faire l’objet d’une surveillance et d’une validation par des instances indépendantes, dans une mesure proportionnelle aux répercussions du projet.
  5. L’EIDH devrait être effectuée le plus tôt possible, idéalement à l’étape de faisabilité du projet. Elle devrait influer sur la décision d’investir ou non, sur le choix de l’emplacement de l’investissement de même que sur la conception du projet et l’ensemble des fonctions et activités prévues dans le cadre de celui-ci.
  6. La méthodologie employée devrait refléter les meilleures pratiques et avoir comme point de départ une évaluation des risques que le projet présente pour les communautés et des droits de ces communautés. 
  7.  L’EIDH devrait se pencher sur les impacts du projet à toutes les étapes de son cycle de vie.
  8. Le processus d’élaboration de l’EIDH devrait être transparent et inclure les communautés affectées.
  9. Les résultats de l’EIDH devraient être rendus publics et, surtout, partagés avec les communautés affectées et les organismes de réglementation concernés.
  10. L’EIDH devrait constituer un outil dynamique reflétant les impacts réels du projet au fil du temps, de même que l’évolution des normes nationales et internationales et les changements du contexte du projet en matière de droits humains.
  11. Les conclusions et les recommandations issues de l’EIDH devraient être incorporées dans un plan de gestion et de mise en œuvre.
  12. Le plan de gestion et de mise en œuvre du projet devrait faire l’objet d’une surveillance et d’un examen par un organisme possédant la compétence requise et qui n’a aucun lien avec l’entreprise qui mène le projet. Ces analyses et ce plan devraient être rendus publics.
  13. Le soutien gouvernemental et intergouvernemental apporté au projet devrait être conditionnel à la réalisation d’une EIDH qui soit conforme aux principes mentionnés précédemment, et au respect du plan de gestion et de mise en œuvre.

SIGNÉ PAR (organisations indiquées à des fins d’identification
seulement) :

For Rights & Democracy
Diana Bronson, Project coordinator

Advisory Committee and Local hosts

Joji Carino
Tebtebba Foundation

Danwood Chirwa
University of Cape Town

Peter Frankental
Amnesty International, International Secretariat

Gabrielle Watson
Oxfam-America

Usha Ramanathan
India

Lucie Lamarche
Département des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Fraser Reilly-King
Halifax Initiative Coalition

Marcus Faro de Castro
University of Brasilia

Jim Freedman
Consultant, Canada

Craig Forcese
University of Ottawa, Canada

Baruti Amisi
Centre for Civil Society, South Africa

Patrick Bond
Centre for Civil Society, South Africa

Anne Mayher
Southern African Centre for Economic Justice, South Africa

George Dor
Southern African Centre for Economic Justice

Case study partners:

Argentina
Jimena Garrote
Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS)

Ezequiel Nino
Asociacion Civil por la Igualdad y la Justicia

Democratic Republic of Congo
Jean-Pierre Muteba Luhunga
Nouvelle Dynamique Syndicale

Jean-Claude Katende
Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO-Katanga)

Paulin Kabesa
Institut pédagogique supérieur de Lubumbashi

Odette Ilunga
CRONGD/Katanga

Tibet
Greg Walton
University of Bradford, UK

Carole Samdup
Rights & Democracy, Canada

Philippines
Ms. Zherwina B. Mosqueda
The Legal Rights and Natural Resources Center, Inc.

Ms. Penelope Sanz
Mindanawon Initiatives for Cultural Dialogue

Mr. Godofredo Galos
Save Siocon Paradise Movement

Catherine Coumans
MiningWatch Canada

Peru
Clara Bertha Anglas Rodriguez
CEPEMA LULAY

Angela Patricia Canales Rivera
CEPEMA LULAY