Le barrage Urrà – Le Canada complice d’une histoire d’horreur

Le projet de barrage Urrà en Colombie – Le Canada complice d’une histoire d’horreur

 

« Le barrage Urrà a apporté la mort à notre peuple, aux poissons que nous pêchons et aux membres de notre communauté, qui ont vu leur source de protéines disparaître, à nos chefs également, qui ont osé protester contre le barrage et s’y opposer. »

Kimy Pernia Domico, leader de la nation Embera Katio, témoignant devant le

Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce international, novembre 1999.


 

 

Kimy Pernia DomicaLe barrage Urrà

Les Autochtones de la nation Embera Katio vivent le long des affluents du Haut-Sinu, qui traverse la dernière forêt pluviale résiduelle dans la partie antillaise de la Colombie. Ils dépendent de la pêche, qu’ils pratiquent depuis des siècles.

 

Tout ceci a changé en 1994, lorsqu’un consortium d’entreprises colombiennes, suédoises et russes ont construit le barrage Urrà I, un barrage hydroélectrique de 340 MW, sur la rivière Sinu. Construit au coût de 780 millions $US, ce barrage fournit 4 % de la demande intérieure d’énergie.

 

Le Canada, par l’entremise d’Exportation et développement Canada (EDC), qui portait alors le nom de Société pour l’expansion des exportations (SEE), a consenti un prêt de 18,2 millions $US à titre de soutien à la vente d’équipement et de matériel pour ce projet.

 

Les impacts du barrage

Quand les opérations ont débuté, en 2000, plus de 7 400 hectares de terres ont été submergées pour les fins du barrage, y compris une forêt ancienne ainsi que les terres et les habitations de 411 familles, dont aucune ne possédait de droits fonciers légaux individuels, mais uniquement des droits fonciers autochtones collectifs. Deux mille huit cents personnes ont été réinstallées de force pour laisser place au projet, alors que 70 000 autres personnes en subissaient les répercussions directes.

 

Les Embera Katio, qui vivent en amont du barrage, et les Zenu, dont le territoire est en aval du barrage, sont deux de ces groupes directement affectés par le barrage. En effet, le barrage a privé les Embera de leur principale source de subsistance en empêchant le poisson de remonter le courant pour frayer; il a également submergé leurs habitations, leurs terres et leurs cultures, de même que leurs cimetières et leurs sites sacrés. Il a aussi entravé la pêche et les crues qui inondaient périodiquement les plaines agricoles et les zones humides situées en aval et qui représentent une source essentielle de substance pour le peuple Zenu et pour d’autres communautés de pêcheurs et de paysans.

 

Un problème général de malnutrition s’est ensuivi, ce qui, par exemple, a rendu les Embera vulnérables sur le plan de la santé. Cette situation a été aggravée par la progression des maladies d’origine hydrique, telles que la dengue et la malaria, qui se sont installées dans les eaux stagnantes, là où l’eau de la rivière s’écoulait autrefois librement.

 

Fortes pressions sur un processus discutable

Bien que cela soit incroyable, les Embera Katio n’ont jamais été consultés avant la construction du barrage, en violation flagrante de la loi constitutionnelle colombienne et du Pacte de l’Organisation internationale du travail no 169 relatif aux droits des peuples autochtones. Par conséquent, les Embera Katio ont obtenu en novembre 1998 une injonction judiciaire exigeant la suspension de la submersion des terres jusqu’à ce que l’on soit parvenu à un accord de compensation, les promoteurs du projet ayant agi sans qu’il y ait eu consultation adéquate. Malgré cette injonction, le ministère de l’Environnement autorisait et entreprenait, en décembre 1999, le remplissage du réservoir.

 

Deux mois plus tôt, le leader paramilitaire Carlos Castaño avait exigé du gouvernement qu’il agisse ainsi, dépeignant les chefs Embera comme des éléments subversifs qui mettaient le projet en péril. En fait, les opposants au projet quels qu’ils soient ont été rapidement accusés d’être des  guérilléros, et toute tentative par les Embera de faire valoir leurs droits a été interprétée comme une attaque contre l’autorité paramilitaire.

 

Riposter

En novembre 1999, Kimy Pernia Domico témoignait devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international (CPAECI) qui, à l’époque, était chargé de réviser la loi régissant EDC. Dans son témoignage, il faisait ressortir l’importance de tenir des consultations locales et de mener des études d’impact indépendantes avant de financer un projet, de même que la responsabilité du gouvernement canadien de s’assurer que les groupes affectés soient équitablement dédommagés.

 

« Je dois souligner que les Embera Katio ne sont absolument pas opposés au développement », affirmait Kimy Pernia Domico au cours de l’audience du CPAECI. Il ajoutait cependant que son peuple exigeait des terres en échange de celles qui devaient être inondées, un plan environnemental pour la région, ainsi que des actions face à leurs problèmes d’éducation et de santé.

 

Un mois plus tard, en décembre 1999, 170 courageux membres de la communauté Embera Katio se rendaient à pied à la capitale colombienne, soit une distance de 800 km, et s’installaient devant les bureaux du ministère de l’Environnement pendant quatre mois, jusqu’à ce que le gouvernement mette fin au remplissage du réservoir.

 

Résolution??

En avril 2000, le gouvernement colombien et la société Urrà signaient enfin une entente avec les Embera, laquelle comprenait une indemnisation pour les préjudices subis, l’octroi de nouvelles terres et la suspension des plans de construction de Urrà II, un deuxième barrage plus important que le premier. L’application de cette entente est très lente, cependant, et n’a pas apaisé la vague de meurtres et d’enlèvements.


 


À la fin de mars 2001, seize membres de la communauté Embera avaient été tués par les forces de la guérilla ou par les forces paramilitaires. En juin 2001, Kimy Pernia Domico lui-même était kidnappé, deux jours après avoir tenu une rencontre en Colombie avec une mission canadienne composée de groupes de défense des droits de la personne et de représentants des Premières nations. Kimy est toujours porté disparu.

 

Enfin, en mars 2001, un rapport reliait intimement la poussée épidémique de malaria et de dengue au barrage de la rivière Sinu.

 

EDC, l’environnement et les droits de la personne

Le cas du barrage Urrà est un exemple parmi d’autres de projets couramment soutenus par Exportation et développement Canada et par d’autres organismes de crédit à l’exportation ailleurs dans le monde.

 

Ces organismes fournissent des prêts, des garanties et de l’assurance à des entreprises de leur pays, qu’ils aident ainsi à vendre leurs biens et services à des marchés en émergence. Même si la contribution des organismes de crédit à l’exportation peut souvent paraître minime par rapport au budget total d’un projet, elle est habituellement essentielle pour que les entreprises qui en bénéficient aient accès à un financement commercial additionnel ou puissent s’engager dans des projets dont les risques seraient trop élevés sans ce financement.

 

Par suite d’une longue campagne internationale, les organismes de crédit à l’exportation tiennent maintenant compte de l’environnement. En mai 2002, près d’un an après la disparition de Kimy, EDC adoptait son nouveau Cadre de référence pour l’examen des questions environnementales. Ce cadre de référence n’exige toujours pas, cependant, que les entreprises consultent les parties touchées, ni qu’elles divulguent à ces groupes l’information de nature environnementale et sociale qu’elles détiennent, ni qu’elles révèlent obligatoirement quels projets sont subventionnés par EDC avant de procéder. Il n’exige pas non plus que les projets répondent à un ensemble minimal de normes internationales, notamment le Pacte de l’OIT no 169 relatif aux droits des peuples autochtones, la politique de sauvegarde de la Banque mondiale sur le réétablissement ou les prescriptions de la Commission mondiale des Barrages. Les violations des droits de la personne ne sont considérées que dans le contexte des risques politiques et commerciaux encourus.

 

Que pouvez-vous faire??

Vous pouvez vous joindre aux centaines d’autres membres de la population canadienne qui réclament qu’EDC, ainsi que les entreprises qu’elle soutient, adoptent des politiques qui tiennent davantage compte du développement, de l’environnement et des droits de la personne.

 

Pour ce faire, inscrivez-vous à notre « réseau de réaction rapide ».