Lettre au Premier Ministre - Le 7 mars 2005

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Le 7 mars 2005

Très honorable Paul Martin

Premier ministre du Canada

80, rue Wellington

Ottawa (Ontario)

K1A 0A2

Monsieur le Premier Ministre,

Au nom de la Coalition de l’Initiative d’Halifax, je vous écris pour vous demander des éclaircissements sur la position du Canada quant à l’adoption de mesures financières novatrices susceptibles de générer de nouveaux revenus pour l’aide au développement.

Pour régler la crise de l’endettement de façon permanente, il faut non seulement effacer entièrement les dettes multilatérales des pays pauvres, mais également consentir à ces derniers une Aide publique au développement (APD) additionnelle afin de les aider à atteindre et dépasser les Objectifs de développement du millénaire (ODM) tels que définis par les Nations unies. Il est généralement reconnu qu’une augmentation significative des transferts du secteur public constitue une condition préalable à l’atteinte de l’Objectif du millénaire qui prévoit une réduction de 50 pour cent de la pauvreté absolue dans le monde d’ici 2015. 

Cependant, il est clair que, même avec des augmentations substantielles de l’aide publique au développement, les donateurs, dont le Canada, seront très loin d’atteindre le montant annuel estimatif de 50 milliards $US requis pour atteindre les ODM. Même si le budget canadien de 2005 prévoit des augmentations annuelles de 8 pour cent jusqu’en 2010 au chapitre de l’aide au développement, il ne fait aucune mention d’un échéancier qui permettrait d’atteindre l’objectif des Nations unies de 0,7 pour cent du RNB d’ici 2015 reconnu par consensus mondial comme étant la « juste part » des pays donateurs à l’aide au développement. Le Conseil canadien pour la coopération internationale estime que, d’ici 2010, les performances du Canada demeureront à 0,33 pour cent du RNB, soit moins de la moitié de notre juste part de l’engagement nécessaire pour atteindre les Objectifs de développement du millénaire.

Devant cette insuffisance certaine de l’aide au développement à l’échelle mondiale, il s’avère essentiel de tenir des discussions sur la nécessité d’établir des mécanismes nouveaux et innovateurs permettrant de combler l’écart actuel par rapport aux ODM et de rendre l’aide extérieure plus prévisible et plus stable.

Or le Canada s’est montré étonnamment silencieux dans ce débat continu depuis le processus de Financement du développement de 2001. Ainsi, le Canada ne fait pas partie des pays signataires de la Déclaration de New York sur l’action contre la faim et la pauvreté, qui a découlé de la première conférence intergouvernementale mondiale sur la réforme des moyens de financement du développement, tenue aux Nations unies le 20 septembre 2004. Cette déclaration fait ressortir la nécessité d’accroître les niveaux d’aide au développement et d’accorder une plus grande attention aux mécanismes innovateurs de financement afin d’atteindre les Objectifs de développement du millénaire. Plus de 111 pays ont signé cette déclaration, dont la France, l’Allemagne, les pays nordiques et le Royaume-Uni.

D’autre part, le Canada n’a fait aucun commentaire sur le discours adressé par le président de la France au Forum économique mondial, en janvier 2005, dans lequel M. Chirac proposait l’adoption de taxes infimes, notamment des prélèvements sur les transactions financières internationales, une taxe sur le carburant utilisé par le transport aérien et maritime, ainsi que diverses taxes vertes, destinées à recueillir une parcelle de la richesse générée par la mondialisation.

Le silence du Canada dans le débat sur l’adoption de mécanismes innovants pour financer le développement étonne. C’est à votre leadership personnel qu’est dû ce passage de la motion adoptée le 23 mars 1999 : « que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait décréter une taxe sur les transactions financières de concert avec la communauté internationale ». Cette motion a reçu l’appui de tous les partis et a été adoptée par une majorité significative de 164 contre 83. Le Canada devenait ainsi le premier pays au monde à déclarer son intention d’œuvrer en vue de l’adoption d’une mesure fiscale innovatrice présentant la double capacité de freiner la spéculation monétaire internationale et de générer des revenus essentiels au développement.

Le soutien du Canada à une taxe sur les opérations monétaires est généralement considéré comme l’élément catalyseur du débat mondial sur l’instauration de taxes sur la spéculation monétaire. Depuis l’adoption de la motion canadienne, le soutien politique et populaire à l’imposition d’une taxe sur les opérations monétaires s’est étendu. Le 1er juillet 2004, la Belgique devenait le premier pays au monde à adopter une loi sur les

opérations monétaires. En novembre 2001, la France amendait sa Loi de finance afin d’adopter une taxe sur les transactions monétaires, de concert avec l’Union européenne. L’Allemagne et l’Inde ont aussi indiqué leur intérêt pour des taxes sur les transactions financières internationales « appliquées à l’échelon local et coordonnées à l’échelon international ». Le Brésil, la France, le Chili et l’Espagne ont dirigé la conférence de l’ONU mentionnée plus haut.

Les Canadiens veulent savoir où se situe le Canada dans le débat actuel. C’est pourquoi nous vous demandons respectueusement de répondre aux questions qui suivent :

  • Quelle est la position du Canada sur l’utilisation de taxes sur les transactions financières, notamment sur les transactions monétaires, pour réduire la spéculation déstabilisante sur la monnaie et générer des revenus pour le développement?

  • Quels aspects de la proposition de M. Chirac sur les taxes sur les opérations financières internationales (« le prélèvement de solidarité internationale ») le Canada appuie-t-il ou rejette-t-il, et pourquoi?

  • Comment le Canada propose-t-il de « financer l’écart » entre les niveaux actuels d’aide au développement et sa juste part d’engagements financiers pour atteindre les ODM? Le CCCI a calculé qu’une augmentation de l’aide canadienne de 15 pour cent au cours des 10 prochaines années permettrait d’atteindre l’objectif de 0,7 pour cent d’ici 2015.

L’apport de ressources nouvelles, additionnelles et stables pour le développement constitue un complément essentiel à l’annulation de la dette. Le refus du Canada de s’engager à adopter des mécanismes innovateurs pour atteindre ces buts est incompatible avec son engagement antérieur adopté par la Chambre des Communes. En ajoutant l’engagement insuffisant du Canada à accroître son aide jusqu’à 0,7 pour cent d’ici 2015, il apparaît peu probable que le Canada puisse atteindre ses ODM.

Lorsque le monde se réunira en septembre 2005 pour examiner les progrès accomplis à l’égard des Objectifs de développement du millénaire à l’occasion du 60e anniversaire des Nations unies, comment le Canada expliquera-t-il son incapacité à réaliser sa juste part?

Nous attendons respectueusement votre réponse et nous souhaitons poursuivre le dialogue avec le ministre des Finances M. Goodale à propos des étapes à suivre pour achever la résolution de la crise de l’endettement.

Veuillez agréer, monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre considération distinguée.

John Mihevc, président

Coalition de l’Initiative d’Halifax

c.c.

Hon. Ralph Goodale, ministre des Finances

Hon. Pierre Pettigrew, ministre des Affaires extérieures

Hon. Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale

Jack Layton, chef du Nouveau Parti Démocratique

Gilles Duceppe, chef du Bloc Québécois

Stephen Harper, chef du Parti conservateur

Les membres de la Coalition de l’Initiative d’Halifax sont :

  • Développement et Paix

  • Conférence des évêques catholiques du Canada – Bureau des affaires sociales

  • Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI)

  • Les Amis canadiens de la Birmanie

  • Congrès du travail du Canada (CTC)

  • Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde (AJCRDPM)

  • TCA - Canada

  • CoDevelopment Canada

  • C U S O

  • Démocratie en surveillance 

  • Falls Brook Centre

  • Les Ami(e)s de la Terre Canada

  • KAIROS : Initiatives canadiennes œcuméniques pour la justice

  • Mines Alerte Canada

  • Institut Nord-Sud

  • Oxfam Canada

  • RESULTS Canada

  • Droits et démocratie

  • Sierra Club du Canada – Campagne nucléaire

  • Comité pour la justice sociale

  • Fonds Humanitaires des Métallos

  • Toronto Environmental Alliance

  • World Inter-Action Mondiale