L’économie internationale et la transparence
L’un des problèmes clés sous-jacents à la crise financière de 2008 a été le manque de transparence dans l’économie internationale. Ces dernières décennies ont vu se propager une structure financière parallèle faite de paradis fiscaux, de juridictions opaques, d’entreprises déguisées, de sociétés écrans et des simulacres de fondations, des systèmes utilisés dans la moitié de tous les mouvements de transactions commerciales et de capitaux. Comme l’opacité en est la caractéristique principale, cette économie parallèle sert au blanchiment d’argent et aux opérations d’évasion fiscale favorisant la corruption, la criminalité et le commerce par delà les frontières.
L’impact de cette économie parallèle a été dévastatrice autant pour les pays du Sud que pour les pays du Nord. Elle a permis l’évasion de milliards en impôts sur le revenu. Elle a occulté l’évaluation précise des bilans des banques, des institutions financières et des multinationales, et des milliards ont été volés aux pays du Sud. On estime aujourd’hui que mille milliards de dollars sont ainsi transférés chaque année hors des pays du Sud, entravant la croissance économique et la réduction de la pauvreté, et sabotant les efforts pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (voir LES FAITS).
Des groupes de citoyens ont demandé de mettre fin à cette économie parallèle depuis des années. La voix de Tax Justice Network basé au Royaume-Uni a beaucoup d’influence (www.taxjustice.net). Au Canada, une nouvelle organisation s’est établie en faveur des taxes fiscales progressives (www.taxfairness.ca). Cette année, Halifax Initiative va travailler de concert avec ces organisations pour répondre à ces problèmes. Dans les prochains mois, le site Internet d’Halifax Initiative comprendra une bibliographie commentée d’articles, de rapports et de matériel éducatif sur la justice fiscale, la fuite de capitaux, la corruption, la dette illégitime et la transparence financière.
Analyse post-mortem du G20 de Cannes
L’attention du Sommet du G20 de Cannes a été accaparée par les problèmes économiques en Europe et les autres questions ont été mises de côté. En ce qui concerne les changements climatiques, pratiquement tous les pays du G20 se sont renvoyé la balle. Dans leur déclaration finale, les commentaires des chefs d’État du G20 sur la nécessité de poursuivre la lutte contre les changements climatiques ont été mitigés. Tout en proclamant que le financement pour la lutte contre les changements climatiques était une priorité, ils n’ont pris aucun engagement.
Il y a eu des avancées sur la Taxe sur les Opérations financières (la TOF ou taxe Robin des Bois). Malgré l’opposition du Royaume-Uni, des USA et du Canada, une «coalition des volontaires» s’est formée avec la France, l’Allemagne, la Commission européenne, le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Argentine. Ce n’est qu’un début et les partisans des OSC feront campagne en faveur de la TOF au Sommet du G20 de Mexico, en juin 2012.
Les chefs d’État du G20 ont pris des engagements pour lutter contre les fuites de capitaux ainsi que des mesures à l’encontre des paradis fiscaux et des montages de sociétés abusifs. Ces engagements sont extrêmement importants pour les pays en voie de développement qui perdent plus de mille milliards de dollars par année en sorties de capitaux illicites qui, pour la plupart, sont blanchis dans les paradis fiscaux. Cependant, les chefs d’État du G20 ont échoué dans la recommandation d’échanges multilatéraux automatiques d’informations fiscales, l’un des thèmes les plus importants dans les campagnes des OSC.
Selon l’expert de l’ONU, les organismes de crédit à l’exportation ne respectent pas les droits de l’homme
Cephas Lumina, expert indépendant auprès de l’ONU chargé d’examiner les effets de la dette extérieure sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, a soulevé le problème des organismes de crédit à l’exportation dans le rapport 2011 qu’il a présenté à l’Assemblée générale de l’ONU. Il y explique que les États ont l’obligation de s’assurer que leurs organismes de crédit à l’exportation respectent les lois internationales sur les droits de l’homme et souligne qu’un nombre important de projets financés par les organismes de crédit à l’exportation continuent à porter gravement atteinte aux droits de l’homme.
Dans son rapport, M. Lumina déclare : «Il est rare que les États exercent leur devoir de précaution pour ce qui est des activités de leurs organismes de crédit à l’exportation. D’ailleurs, ni les lois portant création de tels organismes, ni les politiques opérationnelles de ceux-ci, ne font généralement référence aux normes des droits de l’homme. Les organismes de crédit à l’exportation ne se sont pas non plus dotés de stratégies claires de précaution et de prévention des atteintes aux droits de l’homme qui permettraient de recenser les éléments qui, dans un projet, risquent de porter atteinte aux droits de l’homme, et d’en atténuer les effets. Qui plus est, de nombreux États disposant d’organismes de crédit à l’exportation n’ont pas mis en place de voies de recours effectives pour quiconque estimerait que ses droits ont été mis à mal dans le cadre d’un projet soutenu par un tel organisme.»
En 2010, la législation visant à combler bon nombre de ces lacunes relatives aux opérations d’Exportation et Développement Canada a été rejetée par une faible majorité à la Chambre des Communes.
66e session de l’Assemblée générale de l’ONU. Effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels.
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/446/08/PDF/N1144608.pdf?O...
Babillard – Ce mois-ci …
L’Initiative d’Halifax a le plaisir d’accueillir Peter Gillespie, le nouvel Administrateur de programme sur les questions financières internationales. pgillespie@halifaxinitiative.org
Ce mois-ci, ECA-Watch a présenté à La Division des crédits à l'exportation de l'OCDE des commentaires essentiels sur la Recommandation révisée des Approches Communes concernant l’environnement et les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public (anglais seulement): http://halifaxinitiative.org/sites/halifaxinitiative.org/files/ECA%20Wat...
Le 28 octobre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a tenu des audiences sur la demande 12.741, déposée par la population autochtone de Diaguita à l’encontre du gouvernement chilien. La plainte concerne l’inclusion du territoire Diaguita dans la concession minière de Pascua Lama octroyée à Barrick Gold.
La population autochtone Achuar vit dans une région isolée de l’Amazonie péruvienne. En 2004, une compagnie canadienne, Talisman Energy, a acquis une participation dans le Bloc 64, une concession pétrolière incluant de vastes portions du territoire traditionnel Achuar. Talisman a promis qu’elle n’opèrerait pas au Pérou sans le consentement des communautés touchées. M. Peas Peas Ayui est le président de la Fédération nationale Achuar du Pérou (FENAP). La FENAP représente 42 communautés Achuar et un grand nombre d’entre elles sont situées sur le Bloc 64. M. Peas s’est déplacé au Canada ce mois-ci pour exprimer l’opposition de la Fédération aux activités de Talisman sur le territoire Achuar et pour demander que Talisman se retire de la région. Depuis 2006, les financements octroyés par Exportation et développement Canada à Talisman totalisent des montants se situant entre 400 000 $ et un milliard de $. EDC ne publie pas les montants précis de ses financements. Bulletin de Amazon Watch :
www.amazonwatch.org/assets/files/2011-talisman-issue-brief.pdf (en anglais seulement).
Nouvelles publications
• Africa’s Odious Debts: How Foreign Loans & Capital Flight Bled a Continent, Léonce Ndikumana et James Boyce, Zed Books, 2011. Les auteurs expliquent que la région sub-saharienne est un créditeur net vis-à-vis du reste du monde, ses actifs étrangers excédant largement sa dette extérieure de 175 milliards de $. Mais, le grave problème est que les actifs sont dans les mains d’individus privés alors que le passif reste public.
• Estimating Illicit Financial Flows Resulting from Drug Trafficking and other Transnational Organized Crime, Octobre 2011, UNDOC. 1600 milliards de $ (2,6 % du PNB) des produits de la criminalité sont blanchis à travers le système financier international. Moins de 1 % de ces flux financiers illicites mondiaux sont actuellement saisis et gelés. www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_financial_flow...
• «Des Manipulateurs de Marionnettes: Comment les Corrompus Utilisent les Structures Légales pour Cacher les Biens Mal Acquis et Que Faire contre ces Agissements» Initiative pour la restitution des avoirs volés de la Banque mondiale et de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, octobre 2011. Des entités juridiques sont impliquées dans les cas de corruption à grande échelle, dissimulant les véritables propriétaires et contrôlant les produits de la criminalité à travers les compagnies, les fondations et les structures simili-fiduciaires. Les décisionnaires devraient remettre les mesures de transparence corporative nécessaires sur leur ordre du jour national et international. http://www1.worldbank.org/finance/star_site/documents/PuppetMastersFrenc...
• Is Durban the world’s last, best hope to avoid climate disaster? Article d’information de Kairos, octobre 2011. Une excellente analyse des enjeux de la Conférence des parties des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 17), et du désengagement du Canada devenu le trainard en matière de réduction de GES.
http://www.kairoscanada.org/wp-content/uploads/2011/10/PBP28-Durban.pdf (en anglais seulement)
Les Faits: Fuite illicite de capitaux : un obstacle majeur au développement
Jusqu’à récemment, la plupart des ONG se préoccupaient du montant des financements entrant dans les pays en voie de développement et plaidaient pour l’augmentation de l’aide au développement officielle. Ces dernières années, les ONG ont également commencé à analyser les flux financiers sortant des pays en voie de développement et s’avérant être une forme de fuite illicite de capitaux. Plusieurs analyses récentes montrent que les pays en voie de développement perdent 1000 milliards par année en fuite illicite de capitaux, beaucoup plus que ce qu’elles reçoivent en aide. La proportion la plus importante de ces pertes est due à l’évasion fiscale des multinationales.
• Global Financial Integrity (GFI) a trouvé qu’entre 2000 et 2008, les pays en voie de développement perdaient en moyenne par année de 725 à 810 milliards de $ en fuite illicite de capitaux.
• Dans un rapport de 2011 sur l’Afrique, GFI a calculé qu’entre 1970 et 2008, l’Afrique avait perdu au moins 854 milliards de $ en fuite illicite de capitaux, au moins le double de l’aide au développement officielle. GFI a souligné que cette analyse sous-estimait sûrement la réalité et que les flux financiers illicites sortant d’Afrique pendant cette période pouvaient s’élever à 1800 milliards de $.
• Une étude de 2009 commandée par Christian Aid (Royaume-Uni) a calculé que la falsification des prix par les multinationales coûtaient aux 49 pays les plus pauvres 160 milliards par an en impôts sur le revenu perdus. Entre 2005 et 2007, par exemple, le Nigeria a perdu 740 millions de $ en impôts sur le revenu, le Pakistan 486 millions, le Vietnam 400 millions et le Bangladesh 424 millions $.
• Dans son étude de mai 2011, GFI a analysé les fuites illicites de capitaux de 48 des Pays moins développés (PMD). Sur la période allant de 1990 à 2008, 197 milliards de $ sont sortis de ces PMD pour entrer principalement dans les pays développés. Les PMD d’Afrique représentent 69 % du total des flux illicites, suivis par les PMD d’Asie (29 %) et d’Amérique Latine (2 %). La falsification des prix est la principale responsable (65-70 %) de fuite illicite de capitaux des PMD. Les dix nations exportatrices de capitaux illicites les plus importantes sont le Bangladesh (34,8 milliards $), l’Angola (34 milliards $), le Lesotho (16,8 milliards $), le Tchad (15,4 milliards), le Yémen (12 milliards), le Népal (9,1 milliards $), l’Uganda (8,8 milliards $), la Birmanie (le Myanmar)(8,5 milliards $), l’Éthiopie (8,4 milliards $) et la Zambie (6,8 milliards).
• Dans Africa’s Odious Debts, Ndikumana et Boyce ont trouvé que l’Afrique sub-saharienne avait perdu 944 milliards $ en fuite illicite de capitaux entre 1970 et 2008. Ils ont estimé que chaque dollar supplémentaire payé en service de la dette entrainait 29 cents de moins en dépenses de santé publique et que chaque réduction de 40 000 $ en dépenses de santé publique se traduisait par l’augmentation de la mortalité infantile. Ils ont calculé que les paiements du service de la dette sur les prêts qui alimentent les fuites de capitaux se sont traduits par plus de 75 000 morts d’enfants supplémentaires chaque année dans la région sub-saharienne.