Mise à jour - le 31 Octobre, 2012

Le droit international relatif aux droits de l’homme impose des obligations aux États, à savoir de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de la personne. Ceci implique l’obligation de protection incombant aux États lorsque des tiers, tels que les corporations, portent atteinte aux droits de l’homme. Tous les secteurs d’activité de l’État et branches de l’appareil gouvernemental, y compris les institutions financières publiques, sont liés par cette obligation juridique. Pourtant, la grande majorité de ces institutions manquent de politiques claires et efficaces en matière de droits de la personne pour guider leurs choix d’investissements. Certaines institutions rapportent qu’elles exercent une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme afin d’évaluer et d’atténuer les répercussions négatives sur les droits de la personne. Cependant, il n’existe pratiquement aucune information disponible au public concernant ces processus, et les investissements néfastes continuent à être financés.
 

Le gouvernement canadien continue d’apporter aux corporations des investissements et des financements par actions par l’intermédiaire de la Société financière internationale de la Banque mondiale (SFI) et de deux sociétés d’État, EDC et l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC), alors qu’elles manquent de politiques claires et efficaces pour répondre aux exigences du droit international en matière de droits de l’homme. Ce mois-ci, nous allons examiner certaines questions qui sont au cœur du débat canadien et international.


La Mongolie est minée
La concession minière d’Oyu Tolgoi en Mongolie peut se vanter d’avoir les réserves de cuivre et d’or inexploitées les plus importantes du monde. La gigantesque mine est en cours de construction par THR, Turquoise Hill Resources, basée à Vancouver et appartenant en majorité à la compagnie britannique Rio Tinto. Le coût du projet pourrait atteindre les 13 milliards de $ et THR compte sur les institutions financières publiques pour trouver la moitié de son financement. La compagnie espère recevoir plusieurs milliards de $ en financements et assurances de la part du consortium d’institutions publiques dont font partie EDC, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, U.S. Export Import Bank, Australian Export Finance and Insurance Corporation et deux institutions de la Banque mondiale (la Société financière internationale et l’Agence de garantie d’investissement multilatéral).

Les organisations de la société civile de Mongolie et les résidents locaux ont exprimé leur frustration et leurs inquiétudes concernant les répercussions du projet et le régime réglementaire inefficace de surveillance. Ils dénoncent le manque de transparence du projet et se plaignent qu’ils n’ont pas été dûment consultés. Les éleveurs de troupeaux ont été forcés à la relocalisation et en rapportent les conséquences négatives importantes sur leur mode de vie. Ils décrivent les pratiques coercitives dans l’administration des compensations de relocalisation. Les habitants de Mongolie craignent que le projet, situé dans le désert de Gobi, limite encore leur accès aux ressources en eau déjà de plus en plus rares. La proposition de dérivation d’une rivière locale et la construction d’une usine à charbon et d’un aéroport international associés à la mine ne font que renforcer leurs inquiétudes.

Le Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme a terminé récemment sa première mission sur le terrain, en Mongolie. La représentante du Groupe de travail, Margaret Jungk, a tiré bon nombre de conclusions qui vont dans le sens des inquiétudes des communautés, comme « un manque déplorable de clarté sur les rôles et responsabilités respectives du gouvernement et de l’entreprise en ce qui a trait au respect des droits de l’homme ». Elle rapporte que les éleveurs de troupeaux ainsi que les gouvernements locaux et régionaux ont été exclus des processus de décision concernant l’exploration et les activités minières. Mme. Jungk a également exprimé son inquiétude vis-à-vis de l’incapacité du gouvernement à surveiller les activités du secteur privé en Mongolie.  

En octobre, les éleveurs de troupeaux de Mongolie ont soumis une plainte sur la mine d’Oyu Tolgoi auprès du conseiller-médiateur de la Banque mondiale. Entre autres problèmes, ils ont souligné que les phases d’exploitation et de mise hors service du projet ont été omises dans  l’Évaluation environnementale et sociale du projet.  


Entrevue avec le directeur de l’ONG de Mongolie Oyu Tolgoi Watch
www.bicusa.org/en/Article.12648.aspx (en anglais)

Plainte soumise auprès du conseiller-médiateur de la Banque mondiale contre le projet d’Oyu Tolgoi
www.bicusa.org/en/Article.12703.aspx  (en anglais)

Plainte d’Oyu Tolgi Watch en vertu des lignes directrices de l’OCDE
www.oecdwatch.org/cases/Case_188/?searchterm=Oyu%20Tolgoi  (en anglais)


Nouvelles ressources :


(Mauvais) investissements en agriculture  
Depuis la crise financière de 2008, de nombreux pays en voie de développement ont élargi leur ouverture aux investissements étrangers chez eux. La branche du secteur privé du Groupe de la Banque mondiale, la SFI et son Service de conseil en investissements étrangers, offrent une assistance technique et des services consultatifs aux gouvernements, créant ainsi pour les investisseurs un cadre réglementaire favorable aux affaires. Une partie de ces services se sont axés sur l’élaboration de procédures plus simples pour les investisseurs leur donnant ainsi accès aux terres.

Le résultat est une acquisition massive de terres dans les pays en voie de développement par les investisseurs étrangers. Selon l’estimation d’un rapport récent d’OXFAM, les acquisitions de terres dans le monde par les acteurs privés durant la dernière décennie représentent huit fois le territoire du Royaume-Uni. Bien peu de ces terres sont utilisées pour produire de la nourriture pour les populations locales; en fait les récoltes sont exportées ou servent de biocarburants. L’Institut Oakland a publié une série d’études sur les acquisitions étrangères de terres. Les études de cas en Afrique montrent de toute évidence que les acquisitions de terres déplacent les populations locales, perturbent les modes de vie locaux et mettent en danger la sécurité alimentaire locale.


Our Land, Our Lives: Time out on the global land rush (en anglais)
www.oxfam.ca/sites/default/files/bn-land-lives-freeze-041012.pdf  

Understanding Land Investment Deals in Africa (en anglais)
www.oaklandinstitute.org/special-investigation-understanding-land-investment-deals-africa


Il faut plus que des briques et du mortier
Durant ces dernières décennies, le Groupe de la Banque mondiale a encouragé la privatisation des infrastructures publiques ouvrant ainsi la voie à des investissements lucratifs pour les acteurs du secteur privé. Les investissements en infrastructures entre 2005 et 2008 ont dépassé les 2 000 milliards de $, plus de la moitié ayant été effectués dans les pays en voie de développement. Résultat de cette tendance : les décisions sur le financement des infrastructures sont prises de plus en plus par les intérêts privés qui cherchent à faire du profit, plutôt que d’être prises en fonction de l’évaluation publique des besoins et avantages. Cette réalité a de graves conséquences : les services privatisés (eau, assainissement, énergie, routes et télécommunications) ne sont disponibles qu’à ceux qui en ont les moyens. Il ne semble pas que les garde-fous environnementaux et sociaux utilisés pour évaluer les projets publics seront appliqués aux investissements du secteur privé. De fait, certains gouvernements offrent des garanties selon lesquelles les acteurs du secteur privé ne seront pas tenus responsables des répercussions environnementales et sociales négatives.  

Dans un récent article, Nicholas Hildyard analyse cette tendance et se demande comment les infrastructures privées répondent aux besoins de 1,4 milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité, de 880 millions qui n’ont pas accès à l’eau potable et de 2,6 milliards qui n’ont pas accès à des installations sanitaires de base.


Il faut plus que des briques et du mortier       
www.thecornerhouse.org.uk/resource/more-bricks-and-mortar


LES FAITS : L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC) : aperçu
Le Régime de pensions du Canada (RPC) est un fonds de pension public obligatoire auquel contribuent tous les travailleurs canadiens. Un rapport sur le développement durable du RPC en 1996 a donné lieu à la création de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, une société d’État avec un mandat prescrit par la loi pour investir les contributions de pensions des Canadiens. En juin 2012, le portefeuille de l’OIRPC s’établissait à 165 milliards de $. Le fonds investit dans des actions et obligations publiques et privées, dettes privées, immobilier et infrastructures. Actuellement, l’OIRPC a investi dans 3 100 compagnies dont 500 compagnies canadiennes.

A la différence de certains autres plans de pensions, l’OIRPC ne suit pas de lignes directrices pour des investissements éthiques. Sa politique « d’investissement responsable » est médiocre et s’abstient de dépister les investissements qui ont des effets néfastes sur la santé et le bien-être humain. C’est ainsi que l’OIRPC investit dans les compagnies de tabac canadiennes et internationales. Il investit des sommes énormes dans l’industrie de l’armement et fournit des financements par capitaux propres aux fabricants d’armes nucléaires tactiques, de systèmes de vecteurs de bombes à fragmentation et de nouvelles technologies d’armement. L’OIRPC est aussi un leader international dans la privatisation des infrastructures publiques.

L’OIRPC investit des sommes énormes dans les compagnies minières canadiennes et internationales qui sont connues pour créer des problèmes sociaux, environnementaux et relatifs aux droits de l’homme, telles que des géants de l’industrie comme Barrick Gold, Goldcorp, Kinross Gold Corp., Newmont et Rio Tinto. L’OIRPC procède aussi à d’importants investissements dans les secteurs d’énergie qui contribuent au changement climatique.

Pourtant d’autres fonds de pension canadiens et internationaux opèrent avec beaucoup plus de rigueur éthique selon des lignes directrices qui respectent les droits de la personne. Le Fonds de pension du gouvernement norvégien, par exemple, exclue les fabricants de tabac et d’armes; il refuse également d’investir dans les compagnies dont les activités ont de toute évidence des effets néfastes sur l’environnement et les droits de la personne. Ce Fonds a exclu la compagnie canadienne Barrick Gold pour les graves dommages environnementaux associés à une mine de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il a refusé d’investir dans la compagnie Rio Tinto à cause de son bilan environnemental honteux. De concert avec le plus important fonds de pension des Pays-Bas, il a exclu Walmart pour son incapacité à se conformer aux principes du Pacte mondial des Nations Unies. La Norvège et d’autres pays ont montré que les investissements éthiques ont des effets sociaux et environnementaux bénéfiques. Ces investisseurs ont pris d’importantes mesures pour s’assurer de leur conformité avec les normes relatives aux droits de l’homme. Il est grand temps que l’OIRPC fasse de même.


L’Office d’investissement du Fonds de pension du Canada     
http://www.cppib.ca/fr/

Le Fonds de pension du gouvernement norvégien (en anglais)
www.regjeringen.no/en/dep/fin/Selected-topics/the-government-pension-fund.html?id=1441