Fiche d’information: Banque mondiale, changements climatiques et énergie (Octobre 2008)

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Banque mondiale et changements climatiques
La Banque mondiale est l’une des institutions financières les plus puissantes du monde. Créée en 1944, la Banque est maintenant devenue l’agence publique de développement la plus importante au monde par son influence sur les politiques de la majorité des pays développés et des économies émergentes. Observant ces dernières années l’impact d’ores et déjà significatif des changements climatiques sur les pays développés, ainsi que les lacunes des mécanismes de financement permettant de faire face à ces impacts, la Banque mondiale a de plus en plus revendiqué un rôle primordial dans la résolution de ces questions, rôle très controversé dans le monde par les gouvernements des pays en voie de développement et par la société civile en général.


Le nouveau lien entre les changements climatiques et le développement
La majorité de la communauté scientifique internationale s’entend pour constater que le climat planétaire se réchauffe et prévoit que ce réchauffement, dû pour une large part aux activités humaines, telles que le recours aux combustibles fossiles ou à la déforestation, se poursuive dans le futur.

Les changements climatiques sont devenus une question critique dans le développement international d’autant que leurs impacts affectant les pays en voie de développement sont disproportionnés. Les hausses de température et la modification des configurations de précipitations vont avoir un impact radical sur la productivité agricole et sur la sécurité alimentaire régionale et locale. De nombreuses régions verront diminuer la disponibilité de l’eau. L’élévation du niveau de la mer menace de déplacer des dizaines de millions de personnes qui vivent en communautés sur les zones côtières. Des catastrophes climatiques, telles que les inondations, la sécheresse, les ouragans ou les tornades, peuvent balayer les habitations, anéantir les vies et les moyens de subsistance. Des conditions plus importantes de réchauffement et de pluviosité peuvent accroître le taux de prévalence des maladies d’origine hydrique ou alimentaire, telles que la malaria, le choléra ou la typhoïde. La capacité des pays à atteindre les Objectifs de développement du millénaire (ODM) sera très certainement compromise.

Pour faire face au défi mondial des changements climatiques, les pays doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en diminuant leur dépendance aux combustibles fossiles, en investissant dans des énergies alternatives plus écologiques telles que l’énergie éolienne, solaire, la biomasse, les mini-centrales, ainsi qu’en favorisant activement l’économie d’énergie et l’efficacité énergétique. Les pays du Nord ont des niveaux d’émission de gaz à effet de serre plus élevés et doivent par conséquent procéder à des réductions beaucoup plus draconiennes que les pays du Sud. Les pays doivent également mettre en place des mesures visant à atténuer ou à réduire l’ampleur des impacts économiques, sociaux et environnementaux des changements climatiques, et à s’adapter à ces importants changements pour diminuer les inévitables dommages en résultant. Les pays en voie de développement devront consacrer des ressources d’ores et déjà limitées afin de relever les défis des changements climatiques. Le financement de cette adaptation risque de s’élever à 50 milliards de dollars supplémentaires par an.  

Développements liés aux changements climatiques et à la Banque mondiale
1988 – Les Nations Unies (ONU) créent le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)   afin de disposer
d’une source objective d’informations sur les changements climatiques.
Ce Groupe d’experts de premier rang est chargé d’évaluer les
informations et analyses scientifiques pertinentes sur cette question.

1994 – La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (CCNUCC) entre en vigueur en faisant la quasi unanimité des
pays membres. La CCNUCC établit un cadre global pour permettre de
répondre aux questions qui découlent des changements climatiques.

1995 – Le Protocole de Kyoto entre en vigueur. Le Protocole de Kyoto
est un accord qui entraîne des obligations juridiques dans le but
d’atteindre un objectif précis de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (GES), principale cause des changements climatiques.

2005 – Le G8 demande à la Banque mondiale d’élaborer un plan d’investissement dans les énergies propres.

2006 – Le Comité de Développement du G8 demande à la Banque mondiale de
revoir les instruments financiers existants reliés aux changements
climatiques et d’explorer les nouveaux instruments potentiels
permettant d’accélérer les investissements dans les énergies propres.

2008 – Le G8 lance officiellement à Hokkaido, Japon, les nouveaux Fonds
d’investissement pour le climat de la Banque mondiale. La Banque
mondiale publie le Cadre stratégique sur le développement et les
changements climatiques pour le Groupe de la Banque mondiale à des fins
de discussion. 



La Banque mondiale répond avec le Cadre d’investissements pour les énergies propres
En 2005, au Sommet du G8 de Gleneagles, Écosse, le G8 a demandé à la Banque mondiale d’élaborer un plan d’investissement pour les énergies propres et le développement. En 2006, la Banque mondiale a présenté le Cadre d’investissement pour les énergies propres visant à contribuer à l’augmentation des investissements dans les énergies propres et à l’intégration des changements climatiques dans les stratégies de développement. Ce Cadre venait compléter les activités déjà existantes de la Banque mondiale reliées au climat, telles que la réforme du secteur énergétique et la mise au point d’un système d’échange de droits d’émission de carbone, et mettait l’accent sur trois secteurs stratégiques : 1) Secteur énergétique pour le développement et l’accès des pays pauvres. 2) Secteur énergétique pour une économie à faible émission de carbone. 3) Adaptation aux changements climatiques.

Au printemps 2008, la Banque mondiale a enclenché les discussions relatives au cadre succédant au Cadre d’investissement pour les énergies propres, le Cadre stratégique sur le développement et les changements climatiques pour le Groupe de la Banque mondiale. Ce dernier expose en détail le rôle largement accru de la Banque mondiale dans les questions liées aux changements climatiques. Ce Cadre prévoit que la Banque mondiale joue un rôle de levier financier pour mobiliser des fonds privés et concessionnels, soutienne les pays prenant des initiatives relatives à l’adaptation aux changements climatiques et à leur atténuation, accélère les transferts de technologie, et aide la Banque mondiale à approfondir sa recherche d’une politique propre ainsi qu’à élargir son potentiel et sa connaissance de la question. En vertu de l’ancien Cadre d’investissement et du nouveau Cadre stratégique, la Banque mondiale continue à faire valoir que les mécanismes de financement existants, censés permettre la transition vers une économie à faible émission de carbone et l’accroissement de la capacité d’adaptation, sont insuffisants et que des fonds supplémentaires sont requis.


Fonds d’investissement pour le climat (CIF)
Les Fonds d’investissement pour le climat (CIF), qui relèvent du Cadre stratégique, constituent les mécanismes de financement les plus récents approuvés par le conseil d’administration de la Banque mondiale pour soutenir sa détermination à lutter contre les changements climatiques. En septembre 2008, des bailleurs de fonds de dix pays  ont apporté une contribution de 6,1 milliards de dollars aux Fonds d’investissement pour le climat (CIF), dont la plus grosse partie provient des USA (2 milliards), de la Grande-Bretagne (1,5 milliard) et du Japon (1,2 milliard). La structure définitive de ces Fonds, élaborée en mai 2008 et approuvée par le conseil d’administration de la Banque mondiale en juillet 2008, est constituée de deux fonds, le Fonds pour les technologies propres et le Fonds stratégique pour le climat.

Le Fonds pour les technologies propres favorise le financement de projets énergétiques à faible émission de carbone ou de technologies énergétiques qui réduisent les émissions de GES.  Il se doit d’être « technologiquement neutre » ce qui signifie qu’il ne limite pas les types de technologies admissibles au financement de nouvelles énergies renouvelables telles que l’énergie solaire, éolienne ou les barrages à faible impact lorsqu’un financement public est crucial, mais qu’il laisse cependant la porte ouverte à la promotion du « charbon écologique » et des grands barrages hydroélectriques.  Pour la Banque mondiale, le « charbon écologique » offre des possibilités financièrement rentables de réduction des émissions de GES, et « la capture et le stockage du dioxyde de carbone semblent des objectifs prometteurs ».  Ceci met en lumière le deuxième problème que présente le Fonds pour les technologies propres : ce Fonds favorise les technologies qui réduisent l’intensité de développement du dioxyde de carbone mais pas nécessairement les émissions totales de GES. En d’autres mots, tandis que les émissions de GES par unité de production peuvent décliner, les émissions totales de GES peuvent cependant s’élever avec l’augmentation de la production. Même si investir dans une meilleure efficacité énergétique de la production d’électricité au charbon est un pas en avant, l’argent public devrait être investi dans les énergies renouvelables, créant ainsi une véritable stratégie de réduction des émissions de GES. Dans le cas contraire, le Fonds pour les technologies propres, selon les critiques, ne favoriserait comme d’habitude qu’une approche commerciale, (le « maintien du statu quo », MSQ) plutôt que d’opter pour une réelle transition vers un développement du secteur énergétique.

Le Fonds stratégique pour le climat offre une perspective plus large et plus souple et favorise un éventail de programmes visant à arrêter les changements climatiques. Son programme principal est le Programme pilote pour la résistance aux changements climatiques (Pilot Program for Climate Resilience, PPCR) qui remplace le Fonds pilote pour l’adaptation antérieurement proposé. Ce Programme est conçu pour offrir un appui au niveau national à 5 ou 10 pays pilotes pour les aider à rendre leur développement plus résistant aux changements climatiques. Le Fonds stratégique pour le climat comprendra également un Programme d’investissement forestier (actuellement en cours de conception et dont le lancement devrait avoir lieu fin 2008), affecté à la prévention de la déforestation et à l’amélioration d’une gestion forestière durable. Il est également prévu d’ajouter un troisième programme favorisant l’accès à une énergie « verte » des pays à faible revenu.

Le financement des Fonds d’investissement pour le climat (CIF) se fera par l’octroi de subventions et de prêts concessionnels. Chaque fonds sera géré par un Comité de Fonds fiduciaires, constitué d’un nombre égal de pays donateurs et de pays bénéficiaires, qui doit procéder à l’approbation des nouveaux programmes et projets.  Les Organismes des Nations Unies et les entités pertinentes auront le statut d’observateurs. La société civile et les organisations de populations locales ne seront pas représentées au sein des Comités des Fonds fiduciaires, même en qualité d’observateurs. Des discussions ultérieures détaillées relatives aux Fonds seront tenues dans le cadre de Forums sur les partenariats, dont le premier s’est déroulé à la mi-octobre 2008. Les premiers projets financés par les Fonds d’investissement pour le climat devraient être approuvés début 2009.


Les Fonds d’investissement pour le climat (CIF) de la Banque mondiale
Dans sa démarche, la Banque mondiale doit faire face à plusieurs défis clé en ce qui concerne les financements liés à la question des changements climatiques.

1. Processus

  • Le développement et les opérations des Fonds n’ont pas suivi un processus démocratique et ont manqué de transparence. La proposition des CIF a été élaborée relativement rapidement et a laissé peu d’espace aux commentaires des pays en voie de développement et de la société civile, et continue à poursuivre la même démarche à un rythme soutenu, en dépit des fortes critiques extérieures.  Alors que la Banque mondiale a répondu aux toutes premières critiques en apportant quelques changements superficiels aux CIF (tels que la clause de temporisation, le référencement de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’intégration des pays bénéficiaires sur le Comité pour superviser les Fonds), il faut admettre que ces changements ne vont pas assez loin. Par exemple, alors que les Comités de Fonds fiduciaires vont être maintenant constitués des pays donateurs et des pays bénéficiaires, aucun cadre décisionnel n’a été défini. Ceci implique que les pays en voie de développement n’ont en fait aucune garantie de pouvoir exercer un pouvoir décisionnel au sein des comités.  Paradoxalement, la Convention-cadre fournit une structure de négociation démocratique en ce qui concerne les actions internationales liées aux changements climatiques.
  • Les Fonds d’investissement pour le climat (CIF) de la Banque mondiale sont externes au processus de la Convention-cadre. Ironiquement, alors qu’à l’origine il avait été demandé à la Banque mondiale d’agir en tant que « médiateur international sur les changements climatiques » afin d’établir des passerelles entre les économies développées et émergentes,  celle-ci est actuellement en train de compromettre gravement les discussions. Le fait de disposer d’un fonds d’investissement confortable en dehors de la Convention-cadre compromet non seulement les négociations en cours des Nations Unies sur les mécanismes financiers, mais retire également le soutien provenant des mécanismes financiers existants au sein de la Convention-cadre, tels que le Fonds d’adaptation établi à Bali en décembre 2007. Les pays en voie de développement du G77 (l’organisme intergouvernemental le plus important des pays en voie de développement au sein des Nations Unies) et la Chine ont critiqué la Banque mondiale pour avoir écarté ce processus démocratique, et ont insisté sur le fait que les financements qui ne passeraient pas par le processus des Nations Unies ne prendraient pas en compte les obligations actuelles des pays industrialisés qui offrent des aides supplémentaires à l’adaptation aux changements climatiques et à leur atténuation.

2. Bilan de la Banque mondiale sur les changements climatiques

  • La Banque mondiale continue à financer l’extraction des ressources. Un rapport du Centre d’information de la Banque mondiale montre que les prêts de la Banque mondiale pour financer les combustibles fossiles ont pratiquement triplé (282 %) de 2005 à 2008 et dépassent 4 milliards de dollars.  Bien que la Banque déclare que 40 % des prêts 2007 pour les projets énergétiques ont financé les projets à faible émission de carbone, ceux-ci comprennent néanmoins les grands projets hydroélectriques dont les effets se sont avérés négatifs pour la société et l’environnement par leur émission de GES,  ainsi que les centrales au charbon à haut rendement.  Ces financements continus du pétrole et du charbon vont également à l’encontre du Rapport sur les industries extractives (EIR), puisqu’en 2004, ce rapport commandé par la Banque mondiale recommandait de supprimer immédiatement les prêts au secteur du charbon et de les supprimer en 2008 au secteur pétrolier.  
  • La Banque ne soutient l’échange de droits d’émission de carbone que dans son propre intérêt. La Banque soutient l’échange de droits d’émission de carbone dans le but de bloquer les changements climatiques. La Banque gère actuellement 12 fonds pour le l’échange de droits d’émission de carbone grâce à l’Unité de financement carbone (Carbon Finance Unit, CFU), représentant une contribution approximative de 2 milliards de dollars. Cependant, un rapport récent de l’Institut d’Études sur les politiques montre que, dans ce schéma, la Banque recueille en moyenne 13 % de « frais généraux » pour les financements de projets visant la réduction des GES.  Ainsi, au-delà des investissements dans les projets qui augmentent les émissions de GES, la Banque retire aussi un profit des autres projets conçus pour minimiser les émissions de GES grâce à l’échange de droits d’émission de carbone. Qui plus est, aucune démonstration n’a été faite que l’échange de droits d’émission de carbone soit une méthode efficace pour réduire les émissions de GES.

3. Exploitation des fonds

  • Les définitions des termes reliés au domaine de l’énergie dans les Fonds d’investissement pour le climat (CIF) demeurent floues ou faibles. La terminologie utilisée par la Banque mondiale pour décrire les objectifs du Fonds pour les technologies propres, telle que « transformationnelle » ou « à faible émission de carbone » n,est toujours pas définie, ce qui entraîne un manque de clarté quant aux objectifs réels des CIF. Tel que mentionné plus haut, la définition de la Banque mondiale du terme «technologie propre» équivaut plutôt à « maintien du statu quo » (MSQ).
  • Le financement pour l’adaptation grâce aux CIF de la Banque mondiale se fera sous forme de prêts plutôt que de subventions. La Convention-cadre est basée sur un principe de responsabilités communes mais différenciées, ce qui signifie que les pays développés, en tant que contributeurs historiques principaux aux changements climatiques, sont censés se positionner en tant que chefs de file par la réduction de leurs propres émissions et soutenir les pays en voie de développement en les aidant à diminuer les leurs. Demander à ces pays déjà endettés d’emprunter de l’argent pour résoudre une problématique créée par les pays du Nord constitue une violation des principes de la Convention-cadre.
  • Le rôle de plus en plus important de la Banque mondiale dans les financements liés à la question des changements climatiques peut favoriser la conditionnalité. La Banque a déclaré que les fonds provenant des CIF dépendraient de la capacité des pays bénéficiaires à respecter les conditions établies par les Comités de fonds fiduciaires. Les pays admissibles devront soumettre leur stratégie d’investissement à des fins de révision et d’approbation par les Comités avant de bénéficier des CIF. Le financement « suivra les politiques opérationnelles de la Banque et les procédures de prêts pour investissements, quelque soit le co-financement de la BIRD ou de l’IDA ».  Ceci peut amener les pays en voie de développement à être soumis à davantage de critères CIF, sans aucune considération des impacts sur leur développement ou sur la réduction de leur pauvreté.

Position du Canada par rapport aux Fonds d’investissements pour le climat (CIF)
Le Canada n’a émis aucune déclaration officielle relativement aux CIF. En tant que signataire en juin 2008 de la déclaration des ministres des finances du G8,  le Canada semble soutenir les CIF et considérer qu’une implication plus importante de la Banque mondiale dans la question des changements climatiques fait partie des quelques moyens disponibles permettant d’aller de l’avant pour contrer les changements climatiques.

Cependant, à la différence des 8 autres pays du G8, le Canada doit encore engager officiellement de l’argent dans les CIF et n’a fait aucune annonce à ce sujet ni au sommet du G8 à Hokkaido, ni à la conférence des bailleurs de fonds des CIF de la Banque mondiale en septembre dernier. Bien que le gouvernement ait annoncé au Sommet de la Francophonie d’octobre 2008 qu’il dégagerait une somme de 100 millions de dollars pour l’adaptation aux changements climatiques, il n’a pas encore annoncé si ce montant irait ou non aux CIF. Le Canada peut trancher en prenant de réelles mesures sur la question des changements climatiques en engageant plutôt cette somme dans le Fonds d’adaptation de la Convention-cadre qui est ouvert aux contributions des gouvernements. Une autre solution, serait que le gouvernement canadien puisse déposer les 100 millions de dollars dans les Fonds qui ne sont pas dotés de fonds suffisants, tels que le Fonds pour les pays les moins avancés (les PMA) ou le Fonds spécial pour les changements climatiques administrés par le Fonds pour l’environnement mondial et qui sont tous deux redevables de comptes devant les Nations Unies.