Mise à jour - le 30 Avril, 2012

Fiscalité : l’élément oublié du développement

L’Initiative d’Halifax a été l’un des parrains du Sommet pour une fiscalité équitable qui s’est déroulé le mois dernier à Ottawa. Plus de 180 personnes y ont participé dont des collègues du Royaume-Uni, du Kenya et des États-Unis. La conférence a examiné toute une série de questions dont les taxes sur le carbone, l’impôt sur les sociétés, les taxes municipales et provinciales ainsi que les graves problèmes d’évitement fiscal et d’évasion fiscale.  

John Christensen, directeur du Réseau international pour la justice fiscale, a déclaré que la fiscalité était l’élément oublié du développement. « Il est surprenant, a-t-il dit, que les organisations de l’aide communautaire aient ignoré la fiscalité pendant si longtemps. L’imposition est potentiellement la source de financement du développement la plus importante et la plus durable. L’impôt sur le revenu en Afrique, par exemple, est dix fois plus important que la valeur de l’aide de l’étranger. Cependant, les pays du Sud perdent près de mille milliards par an en fuites de capitaux, la plus grande partie en évasion fiscale commerciale. L’action sur la fiscalité internationale et le rôle des paradis fiscaux est essentiel pour faire sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté.

Récemment, la Banque mondiale et le FMI ont commencé à reconnaitre l’importance de la fiscalité dans le développement. En 2002, l’ONU a organisé une conférence sur le Financement du développement à Monterrey, Mexique. Dans les conclusions de la conférence, dites Consensus de Monterrey, il a été reconnu qu’il était essentiel que les pays du Sud réussissent à mobiliser leurs ressources nationales, c’est-à-dire les impôts. Ces questions ont été à nouveau soulevées en décembre 2008 à Doha, Qatar. Mais, à ce jour, peu de progrès ont été réalisés. 

L’aide internationale pour soutenir les pays du Sud dans leurs efforts de développement continue de jouer un rôle important. Cependant, il faut trouver une solution aux problèmes qui empêchent les pays du Sud de collecter leurs impôts nationaux sur le revenu. Les OSC jouent un rôle important de défense par des actions internationales afin de régler ces problèmes, dont plusieurs sont décrits en page 2. 


 

Mobiliser les ressources nationales pour le développement: Guide d’action

Des dizaines d’ONG et de groupes de citoyens à travers le monde se sont rassemblés pour promouvoir la transparence sur les questions de fiscalité auprès de leurs gouvernements et de leurs institutions telles que le G20, la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE.

Parmi les politiques défendues par ces groupes, celles qui suivent sont cruciales: Établir un cadre multilatéral pour l’échange automatique de renseignements fiscaux. Dans le cadre d’une entente multilatérale, les gouvernements recueilleraient et partageraient les données des institutions financières sur les gains de revenus et recettes sur investissements payés aux personnes, entreprises et fiducies non-résidentes. Cette approche serait beaucoup plus efficace comparée aux modèles bilatéraux plutôt faibles basés sur un type d’échange d’information « sur demande » de l’OCDE.

Adopter des normes comptables internationales exigeant que les multinationales fournissent des rapports sur leurs ventes, profits et les impôts qu’elles payent dans chaque pays. Actuellement, les multinationales font leurs rapports financiers sur les comptes consolidés, rendant impossible de vérifier où les compagnies travaillent, leur nombre d’employés, leurs ventes réalisées, les impôts et les redevances qu’elles versent aux gouvernements des pays hôtes. Les multinationales sont réticentes à fournir des rapports pour chaque pays car cela les empêcherait de basculer leurs profits et impôts d’un pays à l’autre. 

Mettre à niveau et renforcer le Comité d’experts de l’ONU sur la coopération internationale en matière de fiscalité au niveau de son mandat et de ses ressources. L’OCDE est farouchement opposée à cette proposition, bien qu’elle soit soutenue par le G77 et la Chine, car elle veut maintenir son monopole d’organisation de référence en matière de normes fiscales. Cependant, l’ONU est beaucoup plus apte à représenter les intérêts des pays en voie de développement que l’OCDE qui constitue essentiellement un club de pays riches. 

Intégrer des politiques fiscales responsables dans des cadres responsabilisant les entreprises. L’impôt sur le revenu paie les biens et services dont dépendent les entreprises, soit les infrastructures publiques, l’accès au bien commun environnemental, un système d’éducation qui forme les travailleurs, des services sociaux et de santé, des allocations importantes et un système juridique onéreux qui préserve les contrats d’entreprise et les droits de propriété. L’impôt ne fait pas partie du prix de revient d’une entreprise, mais il fonctionne comme des dividendes, un retour sur les investissements faits par toute la société et dont toutes les entreprises bénéficient.

Instituer la Taxe sur les opérations financières. La TOF est une très petite taxe (0,05 %) sur les transactions faites entre acteurs du marché financier, sur les actions, obligations, opérations de change, produits dérivés, sur la négociation des contrats à terme et options liés à la bourse, aux titres à taux d’intérêt, devises et services. Elle générerait des ressources vitales pour le développement et les activités d’adaptation aux changements climatiques. 

Tax Justice Network : http://www.taxjustice.net/cms/front_content.php?idcatart=103&lang=5

Global Financial Integrity : www.gfi.org 

Task Force on Financial Integrity & Economic Development: www.financialtaskforce.org

Robin Hood Tax Campaign: http://taxerobindesbois.ca/


 

Babillard – Ce mois-ci …

  • En mars, Barrick Gold a retiré sa demande de financement à Exportation et Développement Canada (EDC) pour le projet Pascua Lama. En 2010, la Banque américaine d’Import-Export avait affiché sur son site Internet l’information relative à une demande de financement de Barrick Gold pour la mine. Les communautés chiliennes affectées par le projet et les ONG allies ont écrit à Ex-Im, en exposant les nombreux problèmes graves posés par le projet et en demandant instamment à l’organisme public de refuser la demande de Barrick Gold. Plus tard, il est apparu que Barrick avait également fait une demande de financement à EDC. L’automne dernier, les organisations chiliennes et argentines ont émis de sérieuses réserves quant aux activités de vérification diligente menées sur le terrain par les organismes de crédit à l’exportation (OCE) relativement au projet, et ont déclaré qu’elles manquaient de transparence, de neutralité et de crédibilité dans une lettre aux institutions publiques. En mars, les OCE ont révélé que Barrick avait retiré ses demandes de financement. http://halifaxinitiative.org/content/barrick-gold-fails-obtain-financing-pascua-lama
  • Ce mois-ci, une délégation du people autochtone Achuar de la région amazonienne péruvienne est arrivée au Canada pour demander que Talisman, la compagnie pétrolière canadienne qui y opère depuis 2005, quitte leur territoire. Le peuple Achuar est très inquiet des tensions qui s’intensifient au sein même de leur communauté et qui, croient-ils, sont fomentées par la compagnie. La majeure partie des Achuar qui vivent sur la concession de la compagnie pétrolière veulent que la compagnie quitte les lieux. Ces communautés ont tenu des élections officielles en assemblée conformément à la loi péruvienne et les résultats sont sans équivoque : les Achuar veulent le départ de Talisman. Talisman prétend qu’il opèrera uniquement avec le consentement du people Achuar mais il ne respecte pas les résultats des votes de l’assemblée. Depuis 2006, Exportation et Développement Canada a financé les opérations internationales de Talisman pour un montant d’un milliard de dollars. Le Régime de pension du Canada détient actuellement 71 millions de dollars en parts de capital de la compagnie. http://amazonwatch.org/news/2012/0418-the-achuar-to-canada-meet-the-delegates

Publications et ressources d’information…

  • Iles au trésor:  Tax Havens & the Men Who Stole the World, Nicholas Shaxson, The Bodley Head, Londres, 2011. L’un des meilleurs livres sur l’histoire des paradis fiscaux et leurs coûts imposés autant sur les pays du Sud que du Nord (en anglais). 
  • S’attaquer aux paradis fiscaux : une vidéo et un podcast sur l’évasion fiscale et le rôle des paradis fiscaux, réalisés par le Réseau international pour la justice fiscale. www.tackletaxhavens.com (en anglais).
  • Canadiens pour une fiscalité équitable : une coalition canadienne qui défend des politiques fiscales progressives et équitables. www.taxfairness.ca (en anglais).

 

L’indice de l’opacité financière 

Jusqu’à récemment, le discours conventionnel sur la corruption était plus axé sur les pots-de-vin, les vols commis par les agents du gouvernement et les nombreux dictateurs du Sud qui ont pillé le trésor public de leur pays. Cependant, il est de plus en plus notoire qu’une infrastructure « d’approvisionnement » est conduite par des intermédiaires qui fournissent les services permettant la corruption. La plupart de ces intermédiaires sont établis dans des territoires où le secret s’applique légalement aux individus, institutions financières et entreprises. Ce sont les lois sur le secret qui permettent la corruption, le blanchiment d’argent, la dissimulation de l’argent provenant d’activités criminelles et l’évasion fiscale, et qui empêchent l’évaluation détaillée de la santé financière des entreprises commerciales.

En 2009, le Réseau international pour la justice fiscale a lancé un « Indice de l’opacité financière » qui classe les pays par niveau d’opacité et par échelle d’activités financières. L’indice évalue les lois et règlements des pays, les traités internationaux dont ils sont signataires et leur importance sur les marchés financiers internationaux. Les deux résultats sont combinés avec un accent particulier mis sur le résultat d’opacité. L’indice 2011 a révélé que sur 73 pays analysés, les 5 pays les plus opaques étaient la Suisse, les Iles Caïman, le Luxembourg, Hong-Kong et les États-Unis. L’indice démontre que les territoires les plus opaques sont les nations les plus riches et que bon nombre d’entre elles sont membres de l’OCDE et du G20. 

L’Indice de l’opacité financière révèle que la pensée dominante sur la géographie et la politique de la corruption est incorrecte. En effet, Transparency International, l’organisation anti-corruption la plus importante au niveau international, classe les pays les plus opaques du monde comme la Suisse, Hong-Kong, le Luxembourg, la Grande-Bretagne et les États-Unis parmi les « moins corrompus ». Et pourtant, les banques suisses ont offert leurs services à une liste interminable de criminels et de dictateurs corrompus. Aux États-Unis, les institutions financières peuvent manipuler les produits de la criminalité dans une parfaite légalité tant que les crimes sont commis ailleurs. Quant au Royaume-Uni, environ la moitié des territoires opaques extraterritoriaux y sont connectés en tant que dépendances de la Couronne, Territoires britanniques d’outremer ou membres du Commonwealth. 

Ces résultats suggèrent également que si les efforts internationaux entrepris pour s’attaquer aux territoires opaques ont été si inefficaces c’est parce que la plupart de ces territories sont des membres influants du G20 et de l’OCDE. 


 

Indice de l’opacité financière, Réseau pour la justice fiscal : www.financialse.com (en anglais)

Les milliards cachés, opacité, corruption et l’interface offshore / The Hidden Trillions, Secrecy, 

Corruption & the Offshore Interface, Christensen, J. (en anglais) 

Crime, Loi et changement social, 2012, 57 : 325-343.

Miroir, miroir, dis-moi qui est le plus corrompu de tous ? / Mirror, Mirror on the Wall, Who’s the Most Corrupt of All? Christensen, J. (en anglais)www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/0701_Mirror_Mirror_corruption.pdf