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Le 28 janvier 2005
Honorable Ralph Goodale
Ministre des Finances
140, rue O’Connor
Ottawa (Ontario) K1A 0G5
Télécopieur : 9955176
Objet : des organisations de la société civile canadiennes demandent aux autorités
canadiennes d’assurer l’annulation complète et inconditionnelle de la dette des pays
pauvres
Monsieur le Ministre,
Les prochains mois offrent au Canada une occasion historique de prendre l’initiative, parmi les ministres des finances du G7, d’examiner la possibilité d’apporter des solutions réelles et permanentes aux problèmes de l’endettement et du développement, notamment en ce qui a trait à l’Afrique. En l’an 2000, les dirigeants de toutes les nations ont pris l’engagement, en signant la Déclaration du millénaire, de « ne ménager aucun effort pour délivrer nos semblables –hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant ». Les ministres des finances qui se réuniront à London le mois prochain auront alors l’occasion de se montrer à la hauteur de ce défi.
Au nom de la Coalition de l’Initiative d’Halifax et du Forum Afrique Canada, un groupe de travail du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI), nous vous demandons de profiter de cette occasion pour vous faire le chef de file de l’annulation totale et inconditionnelle de la dette multilatérale qui pèse sur les pays pauvres et de fixer un échéancier pour la prestation d’une Aide publique au développement (APD) additionnelle à ces pays afin de leur permettre d’atteindre les Objectifs de développement du millénaire.
Une solution permanente à la crise de la dette
Nous apprécions le rôle de chef de file qu’a joué le Canada en devenant le premier pays à annoncer un moratoire sur le remboursement, suivi de l’annulation totale, de la dette bilatérale des pays pauvres très endettés (PPTE), et nous louons l’initiative dont vous avez fait preuve en proposant l’application d’un moratoire aux pays touchés par les tsunamis survenus dans l’Océan Indien. Cependant, le Canada doit faire en sorte que le remboursement des dettes de ces pays, notamment leur dette multilatérale, ne soit pas seulement suspendu mais annulé. Pour chaque dollar d’allégement de dette bilatérale par le Canada annoncé jusqu’ici, les pays d’Afrique subsaharienne sont endettés de 94 $ additionnels envers les institutions financières multilatérales.
Nous louons également votre franche reconnaissance de l’échec de l’Initiative d’aide aux pays pauvres très endettés (Initiative PPTE), initiative conjointe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Vous avez mentionné dans votre déclaration à la Commission Africa comment six des onze pays africains qui ont suivi le processus de l’Initiative PPTE sont encore aux prises avec des dettes insoutenables qui sont « largement dues à l’emprunt aux institutions financières internationales (IFI) ». De plus, vous avez observé que « dans de nombreux cas de PPTE et de pays pauvres autres que les PPTE, les remboursements de dette (particulièrement aux IFI) sont trop élevés par rapport à la capacité de payer et aux besoins sociaux » de ces pays. Vous avez noté, en outre, la nécessité de « traiter les pays pauvres autres que les PPTE de façon équitable ».
De votre point de vue, la proposition mise de l’avant par le chancelier britannique Gordon Brown semble seulement proposer la radiation totale de la dette multilatérale des pays les plus pauvres de la planète. Une lecture attentive du document de consultation préparé par le gouvernement britannique et intitulé « Debt Relief Beyond HIPC » (« L’allégement de la dette au delà de l’Initiative PPTE ») révèle que la proposition britannique n’est pas, en fait, un plan d’annulation de la dette, mais seulement une nouvelle offre d’allégement de la dette. De plus, ce plan ne s’applique pas même à tous les pays qui ont atteint le point de décision. Plutôt qu’une véritable remise de dette, le chancelier Brown propose que les pays donateurs remboursent le service de la dette dû au FMI, à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement par les quinze PPTE qui ont déjà terminé le processus de qualification et par six autres pays dont le seul recours est l’Association internationale de développement (AID) (soit l’Albanie, l’Arménie, la Mongolie, le Népal, le Sri Lanka et le Vietnam). Après 2015, ces pays devraient reprendre le remboursement de leur dette multilatérale, à moins qu’une évaluation ne mène alors à une extension du programme. Les pays débiteurs font face à l’incertitude et à la possibilité qu’en tout temps, des changements de gouvernement ou de politiques parmi les pays créditeurs ne viennent suspendre ou modifier leur participation à ce programme.
Par surcroît, d’après la proposition britannique, de nombreux pays ne seraient même pas admissibles à cette forme très limitée d’allégement de dette, dont les douze PPTE qui sont encore en période intérimaire du processus de qualification, ainsi que les onze autres pays qui doivent se qualifier pour tout critère de l’Initiative PPTE jusqu’à ce qu’ils aient terminé tout le processus de qualification. Ils n’ont aucune chance d’obtenir un allégement de dette additionnel avant d’avoir supporté encore pendant de longues années les rudes conditionnalités du FMI. Pourtant, ces 23 pays pauvres ont une dette globale presque aussi élevée que les 15 pays qui ont terminé le processus de qualification. Par conséquent, la proposition du chancelier Brown est loin de répondre au besoin.
Dans le même ordre d’idée, la proposition avancée par les États-Unis à l’effet de couvrir le coût des remises de dette multilatérale en réduisant le crédit futur d’un dollar pour chaque dollar d’allégement de la dette est également insatisfaisante. Nous comprenons votre insistance sur les principes d’« additionnalité » et d’assurance de la viabilité financière des IFI comme étant une critique implicite de la proposition américaine.
Financer l’annulation de la dette
Au 30 juin 2004, la Banque mondiale détenait 3,5 milliards $US en provisions de pertes sur prêts et une valeur de 24 milliards $US de bénéfices non répartis. Nos recherches et celles d’autres sources démontrent clairement que l’utilisation d’une partie de ces réserves n’attaquerait pas l’intégrité financière de la Banque mondiale, celle-ci étant appuyée par ses 184 pays membres et étant reconnue sur les marchés financiers pour la prudence de ses politiques de crédit.[1]
Le chancelier Brown a proposé qu’une partie du coût de paiement du service de la dette multilatérale par les donateurs puisse être couverte par de nouvelles allocations d’aide publique au développement (APD). Si cette proposition est adoptée, nous proposons alors que toute nouvelle dépense d’APD par le Canada à l’égard du service de la dette soit nécessairement en sus des augmentations annuelles à l’APD de 12 % pendant les années 2005 à 2007 et de 15 % pendant les années 2008 à 2015, ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut d’ici 2015.
Les présidents Chirac et Lula da Silva ont mis à l’ordre du jour international un certain nombre de propositions innovatrices visant à générer des revenus, notamment des options telles que des taxes sur les transactions financières internationales, les achats d’armes et les émissions de carbone. Le Canada pourrait jouer un rôle précieux en négociant un ensemble de mesures donnant à chaque ministre des finances du G7 l’occasion de contribuer à une solution véritablement innovatrice et globale aux problèmes de la dette et des ressources applicables au développement.
Mettre fin aux conditionnalités des PAS
À la suite de votre voyage en Afrique, l’an dernier, vous avez déclaré que le FMI et la Banque mondiale « devaient prendre davantage conscience des préoccupations et opinions locales, notamment en ce qui touche la conditionnalité associée aux réformes structurelles. Et vous notiez que « de nombreux pays à faible revenu y gagneraient s’ils cessaient de s’en remettre aux ressources du FMI et du régime traditionnel de conditionnalité, qui nécessite l’intervention du personnel de cette institution »…
Nous apprécions votre franc questionnement de moins certains aspects de la conditionnalité appliquée par le FMI et la Banque mondiale. Néanmoins, nous vous demandons instamment d’examiner plus à fond les conséquences des vingt ans d’expérience des Programmes d’ajustement structurel (PAS) et des conditions politiques imposées aux pays débiteurs par la Banque mondiale et le FMI. De nombreuses évaluations indépendantes ou réalisées par des organisations de la société civile sont arrivées à la conclusion que les PAS ont abouti à des niveaux décevants de croissance économique, d’efficacité et de compétitivité, à une mauvaise affectation des ressources financières, à la destruction de la capacité productive nationale, à l’affaiblissement du processus démocratique et de la responsabilité gouvernementale, à une détérioration importante de l’environnement et à l’augmentation de la pauvreté et de l’inégalité.
Faire preuve de leadership
Nous avons été impressionnés par la promptitude avec laquelle le Canada d’abord, puis l’ensemble des pays du G7, ont agi afin d’appliquer le moratoire sur le recouvrement des dettes bilatérales des pays touchés par les tsunamis. De même, le Canada n’a pas hésité à offrir de remettre à l’Iraq une grande partie de sa dette de 750 millions $ après la chute du régime de Saddam Hussein. Lorsque la volonté politique est présente, le Canada et les autres pays du G7 peuvent agir rapidement et de façon décisive.
En résumé, nous demandons au gouvernement du Canada de prendre la direction d’un
mouvement destiné à :
· GARANTIR l’annulation immédiate et inconditionnelle de la totalité des dettes contractées envers les institutions financières multilatérales par tous les pays pauvres qui ont besoin d’une annulation de leur dette pour pouvoir atteindre les Objectifs de développement du millénaire, notamment celui de freiner la pandémie de VIH/sida;
· GARANTIR que les pays sont libres d’appliquer leurs propres stratégies de développement national en mettant fin aux Programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale;
· RECONNAÎTRE que ni le peuple iraqien ni les citoyens d’autres pays ayant été dirigés par des dictateurs ne devraient être tenus de rembourser des dettes odieuses;
· GARANTIR un financement adéquat aux pays pauvres en consacrant 0,7 % du revenu national brut à l’Aide publique au développement.
Plus de 130 000 Africains meurent chaque semaine de causes évitables, dont la malnutrition, le VIH/sida, la malaria, la tuberculose et l’eau contaminée. Pourtant, les pays d’Afrique subsaharienne continuent de verser plus de 12 milliards $US par an au service de leur dette. Le dossier de l’Initiative PPTE démontre de quelle façon les efforts passés du G8 et des institutions financières internationales ont échoué jusqu’ici.
Nous espérons avoir le plaisir de vous rencontrer pour discuter avec vous des occasions à saisir par les dirigeants canadiens lors des prochaines rencontres du G8 et dans le cadre des mesures d’intervention recommandées par la Commission pour l’Afrique.
Veuillez agréer, monsieur le Ministre, l’expression de notre considération distinguée.
John Mihevc, Président, Halifax Initiative
Molly Kane, Coprésidente, Forum Afrique Canada
Danielle Gobeil, Coprésidente, Forum Afrique Canada
Gerry Barr, Président et directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI)
c.c. : Hon. Pierre Pettigrew, ministre des Affaires étrangères
Hon. Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale
[1] EURODAD, « Paying for 100% Multilateral Debt Cancellation », par Sony Kapoor, janvier 2005,
http://www.eurodad.org/uploadstore/cms/docs/GoldFAQPaper.pdf