Réponses dans les médias: le 7 décembre, 2006

À petits pas vers la responsabilité sociale

7 décembre 2006
Suzanne Dansereau, Journal Les Affaires

Devrait-il être possible d'intenter des poursuites au pays contre des dirigeants d'entreprises canadiennes dont les gestes portent atteinte à l'environnement et aux droits de la personne à l'étranger ? Devrait-on obliger les sociétés canadiennes à comptabiliser et divulguer les coûts des risques sociaux qu'elles supportent dans leurs projets à l'étranger ?
 
Ces questions clés ont été débattues - sans qu'on parvienne à des ententes finales - lors des Tables rondes sur la responsabilité sociale des entreprises dans les secteurs de l'exploitation minière, pétrolière et gazière et leurs activités dans les pays en développement. Ces quatre tables rondes, dont la dernière a eu lieu à Montréal les 15 et 16 novembre dernier, ont été organisées par deux ministères fédéraux : celui des Affaires étrangères et celui du Commerce international.

Elles avaient pour objet l'examen des mesures qui pourraient être prises pour inciter les entreprises canadiennes faisant de l'extraction minière dans des pays en développement à se conformer aux normes et aux pratiques exemplaires internationales en matière de responsabilité sociale.

À l'issue des discussions, des responsables de la société civile (organismes non gouvernementaux, syndicats, groupes d'actionnaires minoritaires, universitaires) et de l'industrie ont dit avoir trouvé des terrains d'entente. Ils devront néanmoins poursuivre les pourparlers avant de soumettre leurs recommandations au gouvernement fédéral. Leurs travaux se poursuivront jusqu'en janvier prochain.

Des instruments juridiques ?

Les deux parties se sont entendues sur la nécessité de créer un poste d'ombudsman, chargé d'examiner des plaintes formulées par les ressortissants étrangers se sentant lésés par les agissements des entreprises canadiennes et de leurs filiales.

Mais des experts de la société civile réclament la possibilité d'intenter
des poursuites en cas de faute, ce que rejette d'emblée l'industrie minière.

" Si on met en place des instruments juridiques visant à punir les
criminels, ces instruments pourraient servir à punir des non-criminels, a fait valoir le porte-parole de l'industrie, Tony Andrews, directeur de l'Association canadienne des prospecteurs miniers et entrepreneurs.

M. Andrews est toutefois d'accord pour que le Canada se joigne à
l'Initiative des industries extractives sur la transparence, une norme mondiale lancée par le gouvernement britannique en 2002. Cette norme oblige les minières à divulguer tous les paiements faits aux gouvernements des pays où elles oeuvrent. Elle oblige aussi ces gouvernements à divulguer la provenance de toutes leurs recettes.

" Nous n'avons rien à perdre et tout à gagner à adhérer à cette initiative ", croit M. Andrews. " C'est honteux " que le Canada n'y ait pas encore adhéré ", a dit pour sa part Catherine Coumans, porte-parole de la société civile et coordonnatrice à la recherche de Mines Alerte Canada.

Divulguer le coût des risques sociaux ?

Une autre entente de principe concerne la reddition de comptes. L'industrie minière reconnaît qu'il y a place à amélioration pour que les entreprises soient plus transparentes.

Mais de là à accepter les recommandations de la société civile, qui veut obliger les sociétés minières à divulguer le coût des risques sociaux liés à leurs activités dans les pays en voie de développement, il y a un pas que l'industrie refuse de faire. " La pression des pairs suffit ", tranche Tony Andrews.

Les actionnaires minoritaires n'ont pas le même avis. Lise Parent,
analyste-conseil au Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises, demande au gouvernement canadien d'exiger que l'Institut canadien des comptables agréés produise des normes de comptabilisation des risques sociaux.

" Les outils sont là ", a déclaré Mme Parent, en faisant référence à la
Global Reporting Initiative (GRI), qui a élaboré des normes afin de guider les entreprises dans la rédaction d'un rapport de développement durable.

L'expert en sciences comptables Jacques Fortin, de HEC Montréal, estime lui aussi qu'" il serait grand temps qu'on fasse évoluer nos règles comptables en ce sens. On l'a fait pour les risques environnementaux, il faut maintenant le faire pour les risques sociaux. " Ces compagnies puisent dans la richesse collective. C'est leur devoir de nous informer de leur comportement social. "

Une autre voie consisterait à renforcer les lois sur les valeurs mobilières en définissant de façon plus claire le concept de " matérialité " qui oblige les entreprises à divulguer les risques pouvant avoir un impact significatif sur leur bilan financier. À l'heure actuelle, ce concept laisse place à interprétation.