Document de politique du Groupe de travail

PDF file formatDocument de politique de Groupe de travail d'ONG sur EDC, novembre 1999, en matière d’environnement, de droits de la personne, de divulgation de l’information et de la dette.

Pour un relèvement des normes fondamentales : responsabiliser la Société pour l’expansion des exportations envers la population et l’environnement

[ PDF File ]


RESUMÉ

En 1999, Amnistie Internationale sonnait l’alarme à la suite de la mort de six autochtones colombiens lors d’une manifestation contre la construction d’un barrage hydroélectrique qui avait dévasté leur source de subsistance et qui prévoyait l’inondation de la plus grande partie de leurs terres à la fin du projet. En 1998, un accident minier provoquait le déversement de deux tonnes de cyanure dans une rivière du Kirghizistan. Aggravée par l’absence de plan d’action en cas d’urgence, cette catastrophe allait causer la mort de deux à quatre personnes et l’hospitalisation de plus de 600 autres. En 1995, une mine d’or du Guyana déversait 3,2 milliards de litres de cyanure et de métaux lourds dans la principale voie navigable du pays, portant atteinte à la santé de 23 000 personnes ainsi qu’à leur environnement.

 

Qu’y a-t-il de commun entre ces incidents? La Société pour l’expansion des exportations du Canada, une institution financière d’État, fournissait des services de financement ou d’assurance aux entreprises en cause.

 

En 1969, le gouvernement fédéral canadien créait la Société pour l’expansion des exportations (SEE), une société d’État ayant pour mandat d’aider les entreprises canadiennes à exporter des biens et services à l’étranger. En 1993, le mandat de la Société était renforcé afin de l’harmoniser à l’objectif de la politique gouvernementale qui consistait à appuyer et à développer le commerce extérieur du Canada ainsi que la capacité des entreprises canadiennes d’y participer. Depuis 1993, les services offerts par la SEE comprennent le soutien aux ventes à l’étranger par la fourniture de crédit acheteur, de garanties d’investissement, de crédit et d’assurance contre les risques politiques, ainsi que l’aide à la coentreprise et à la prise de participation.

 

Pour appliquer son mandat élargi et s’adapter au rythme accéléré des ouvertures commerciales résultant de la libéralisation rapide des marchés, la SEE s’est considérablement développée. De 1993 à 1998, son volume d’affaires a triplé, passant de 11,766 milliards $ à 34,751 milliards $.[1] Sa clientèle s’est accrue proportionnellement. Pendant la première moitié de l’année 1999, la SEE a dispensé ses services à 4297 clients, soit une augmentation de 21 pour cent par rapport à la même période de l’année précédente.[2] Une vaste majorité de ses services s’appliquent à des activités commerciales en Amérique du Nord, en Europe et dans les Caraïbes, sauf en ce qui concerne les secteurs des infrastructures, des hydrocarbures, des mines et de l’énergie.[3]

 

À l’exception, bien sûr, des exportations liées aux armes et au matériel militaire, les vastes projets d’infrastructure et d’extraction des ressources sont ceux qui risquent le plus d’avoir des incidences négatives sur les populations pauvres, le travail, les droits de la personne et l’environnement[4]. Toutefois, les effets des activités de la SEE sur les collectivités et sur l’environnement dans ces secteurs comme dans tout autre secteur sont difficiles à mesurer car la population n’a pas accès aux renseignements concernant les projets. La SEE n’informe pas la population sur les projets mis à l’étude ni sur ceux qui sont approuvés. Des renseignements aussi élémentaires que le nom de ses clients, le type de financement qu’elle leur a fourni et les endroits où se situent leurs projets ne sont pas divulgués. Généralement, la population n’apprend l’existence d’un projet de la SEE qu’au moment où celui-ci est devenu une catastrophe largement médiatisée. Une telle opacité est inacceptable de la part d’une institution financière d’État.

 

À titre d’institution financière d’État, la SEE peut emprunter sous l’entière caution du gouvernement canadien. Contrairement à d’autres institutions financières canadiennes, elle ne paie aucun impôt. C’est au Parlement du Canada, et par le fait même à sa population, que revient la responsabilité finale de ses succès, de ses échecs et de son image à l’étranger. À titre de société d’État, la SEE se distingue également des institutions financières privées en ce que son mandat est lié à la politique gouvernementale qui consiste à appuyer et à développer le commerce extérieur du Canada ainsi que la capacité des entreprises canadiennes d’y participer.

 

Le gouvernement canadien devrait s’assurer de la conformité du mandat de la SEE avec un certain nombre d’autres politiques gouvernementales, d’autres intérêts et d’autres valeurs de ce pays. Il devrait établir la responsabilité de la SEE devant la population en instaurant des politiques fermes de divulgation d’une portion satisfaisante de renseignements. Il devrait s’assurer du respect des politiques extérieures canadiennes en faveur du développement durable[5] ainsi que des accords internationaux relatifs au travail, aux droits de la personne et à l’environnement en exigeant que la SEE réduise au minimum les effets néfastes de ses projets sur l’environnement et les droits de la personne et assure le respect des besoins sociaux des collectivités, dont la santé, les moyens de subsistance et le droit au réétablissement volontaire. Il devrait établir des mécanismes de responsabilité extérieurs afin de garantir l’adhésion de la SEE à ces engagements fondamentaux. De plus, lorsqu’elle interagit avec des pays très pauvres, la SEE devrait être particulièrement soucieuse de ne pas aggraver leur endettement, point de départ de l’état de crise économique et sociale dans lequel ils se trouvent.

 

La SEE ne peut pas s’en remettre à la législation des pays d’accueil pour s’assurer que les projets qu’elle appuie ne contreviennent pas aux normes et conventions internationales acceptées. Grâce, entre autres, à des services fournis par la SEE, les entreprises canadiennes possèdent des intérêts commerciaux dans des pays qui ne sont pas aptes à tenir compte de certains droits fondamentaux et de considérations environnementales en raison de leur capacité économique ou institutionnelle limitée ou de leur manque de volonté politique.[6]

 

La SEE étant une institution publique, elle devrait s’assurer de respecter les normes d’éthique les plus élevées qui soient dans ses activités commerciales. À titre d’institution financière, elle devrait reconnaître que les entreprises canadiennes sont des acteurs de plus en plus importants sur les plans local, national et mondial et que leurs activités peuvent avoir des conséquences sociales, économiques et environnementales incalculables et dans certains cas irréversibles. Les entreprises canadiennes ont la responsabilité d’adopter des politiques et des pratiques tendant à éliminer les éventuels effets néfastes du commerce international en matières sociale et environnementale. De la même façon, elles doivent éviter de miner les efforts déployés dans le monde entier en faveur de l’éradication de la pauvreté et de la protection des droits de la personne et de l’environnement.

 

On a souvent dit que le respect de l’éthique commerciale par les entreprises est non seulement une responsabilité mais aussi un atout en affaires. « Si nous adoptons une conduite appropriée dans nos affaires, nous en retirons de bons profits pour l’entreprise », faisait remarquer un premier vice-président d’une société canadienne d’exploitation pétrolière lors d’une conférence de presse où il était question de code d’éthique pour les entreprises canadiennes.[7] Björn Stigson, président du World Business Council for Sustainable Development, note pour sa part que depuis le Sommet de Rio, bien des entreprises ont cessé de regarder le concept de développement durable uniquement sous l’angle des coûts et des difficultés et y voient maintenant des économies et des avantages commerciaux.[8]

 

Récemment, la SEE et le gouvernement canadien ont pris des mesures montrant qu’ils prennent de plus en plus conscience du fait qu’il est dans l’intérêt de la SEE d’adopter une ligne de conduite responsable et compatible avec les politiques gouvernementales. En mars 1999, le gouvernement canadien annonçait son intention d’annuler la dette des pays les plus pauvres envers la SEE. En avril 1999, la SEE adoptait un Cadre de référence pour l'examen des questions environnementales (le Cadre de référence) et publiait un Code d’éthique. En mai 1999, la SEE endossait la Déclaration des institutions financières sur l’environnement et le développement durable du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Elle était la dernière des grandes institutions financières canadiennes à le faire.

 

Bien que positives, ces mesures sont insuffisantes. La réduction promise de la dette publique des pays les plus pauvres s’est faite en l’absence de tout débat sur la façon d’assurer la mise en place de mécanismes de crédit responsable ou de réduction de dette pour l’avenir. Le Cadre de référence de la SEE « manque de clarté formelle et méthodologique » [9]et a une portée largement moindre que les normes industrielles existantes appliquées par la Banque mondiale ou par les organismes américains de crédit à l’exportation. Quant au Code d’éthique de la SEE, il s’intéresse essentiellement aux droits de la personne de ses propres employés et ne fait aucune mention spécifique des droits fondamentaux des collectivités locales touchées. En raison de leur ambiguïté et de leur élasticité, le Cadre de référence et le Code d’éthique de la SEE sont des documents sans valeur réelle et sont donc insuffisants pour répondre aux besoins du monde des affaires en matière de prévisibilité et aux besoins de la population en matière de responsabilité.

 

Le Cadre de référence et le Code d’éthique de la SEE ne contiennent aucun mécanisme d’engagement officiel, de suivi et d’évaluation pouvant servir de garantie extérieure que les activités de la SEE n’auront pas d’incidences environnementales nuisibles et évitables sur les collectivités des pays étrangers ou sur leur environnement. L’application de mesures et de normes volontaires et non contraignantes limite l’influence de la SEE sur les entreprises qui seraient tentées de profiter d’un cadre législatif inopérant sinon inexistant. La SEE devrait adopter des normes élevées, élaborées à la suite d’une consultation large et ayant force exécutoire, s’il est vrai qu’elle doit contribuer à empêcher les entreprises canadiennes à l’étranger de constituer une menace pour la population et pour l’environnement lorsque les lois nationales n’assurent pas à ceux-ci une protection de base et que les accords et les traités internationaux ne sont pas appliqués.

 

La Banque mondiale et les organismes américains de crédit à l’exportation ont adopté des normes plus élevées en matière d’environnement, de droits de la personne, de divulgation de l’information et de besoins sociaux que les normes actuelles auxquelles se réfère la SEE. Celle-ci soutient qu’elle ne devrait pas être tenue au respect des mêmes normes élevées que ces organismes parce que le soutien qu’elle apporte à ses clients est de nature différente. Bien que cette assertion soit exacte en ce qui concerne une partie de ses activités de financement, il existe un important chevauchement entre le mandat de la SEE et celui de ces organismes. Par surcroît, tous les organismes publics doivent fonctionner conformément à des politiques et des valeurs gouvernementales qui servent à protéger les besoins environnementaux et sociaux des collectivités locales, ainsi que leurs besoins en matière de droits de la personne.

 

Le présent rapport contient une série de recommandations élaborées à partir des initiatives mêmes de la SEE et des recommandations formulées par Gowling, Strathy et Henderson dans leur rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations. La mise en œuvre de ces recommandations ferait de la SEE une institution financière publique canadienne dont nous pourrions être fiers.

 


[1] Gowling, Strathy et Henderson, Rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations, juin 1999, p. 17.

 

[2] SEE, “Canadian companies doing more with EDC”, communiqué de presse, 10 août 1999.

 

[3] En 1998, soixante et onze pour cent des services fournis par le groupe des services techniques et financiers de la SEE ont servi à aider des entreprises canadiennes à faire du commerce dans des pays en développement; 46,6 pour cent des services fournis par le groupe du matériel industriel ont été consacrés à des activités commerciales dans des pays en développement et 65,2 pour cent des services ont été fournis par l’équipe des institutions financières. Les secteurs des infrastructures, des hydrocarbures, des mines et de l’énergie travaillent en priorité avec ces groupes. Rapport annuel de la SEE, 1998.

 

[4] Déclaration de Berne et coll., Race to the Bottom: Creating Risk, Generating Debt and Guaranteeing Environmental Destruction, mars 1999.

 

[5] « Le “développement durable” (DD) constitue l'une des assises de la politique étrangère canadienne. Par l'entremise de mesures visant la consolidation de la paix, d'accords et de conventions économiques, de programmes d'assistance au développement et de partenariats mondiaux en matière d'environnement, le Canada vise à bâtir un monde plus sécuritaire, plus prospère et plus viable. », Stratégie du MAECI pour le développement durable.

[6] FIVAS, “Draft proposal: Guidelines and Arrangement of an Ombudsman for Human Rights and Norwegian Companies’ Investments and Business Interests Abroad”, groupe de travail sur l’internationalisation de l’industrie norvégienne, 1999.

 

[7] Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations, Principles for Global Corporate Responsibility, 1998.

 

[8] World Business Council for Sustainable Development, How much can be left to the Private Sector and the Market, by Björn Stigson, président, WBCSD, Protecting the Environment and Sustaining Development: Towards a Green Millennium, Wilton Park, 11 mars 1998.

 

[9] Gowling, Strathy et Henderson, Rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations, juin 1999, p. 108.