Document de politique : La Taxe sur les transactions financières : le temps est venu - Avril 2010

Introduction
De plus en plus de politiciens, d’organisations de la société civile, d’économistes et quelques financiers plaident vigoureusement en faveur d’une Taxe mondiale sur les transactions financières (TTF). La TTF est une taxe très faible appliquée aux transactions réalisées sur les marchés financiers : commerce des actions, des obligations, des produits dérivés ou des devises, par exemple.

Des leaders politiques, notamment le président français, la chancelière allemande et le premier ministre britannique, voient dans la TTF une des meilleures façons de financer des programmes contre la pauvreté dans le monde, de gérer l’atténuation ou les conséquences des changements climatiques et de faire payer aux institutions financières leur juste part de la crise mondiale que leurs pratiques ont largement contribué à provoquer. D’éminents économistes prônent la TTF pour calmer la spéculation excessive sur les marchés financiers et prévenir ainsi la crise économique
 

La présente Analyse stratégique montre pourquoi il est urgent d’imposer une TTF et situe le débat actuel dans son contexte historique. Elle résume les arguments en faveur de la TTF et les objections qu’on lui oppose le plus souvent. Enfin, elle indique comment la pression politique s’intensifie en faveur d’une TTF malgré la réticence du gouvernement canadien.

Le besoin urgent d’une TTF
En réaction à la crise financière et économique mondiale, les États ont dépensé des milliers de milliards de dollars pour renflouer les institutions financières et stimuler l’économie. Des banques privées ont engrangé d’énormes profits en empruntant aux banques centrales des sommes énormes sans avoir pratiquement à payer d’intérêts puis en prêtant aux consommateurs à des taux plus élevés. Par ailleurs, les États doivent absorber des manques à gagner gigantesques, qui entraînent des coupures, notamment dans les budgets de l’aide étrangère.

Au Canada, le poste de l’aide internationale va atteindre un sommet de 5 milliards $ en 2010 puis restera gelé à cette valeur nominale de 2011 à 2014. En conséquence, on prévoit que l’aide publique au développement versée par le Canada passera de 0,33% du Revenu national brut (RNB) à 0,28% à peine, en 2014 : le Canada s’éloigne donc de plus en plus de l’objectif international visant à consacrer 0,7% du RNB à l’aide publique au développement. Le gel de l'aide internationale représente une coupure de 4,4 millions $ des dépenses prévues pour les cinq prochaines années. Ainsi, c’est au moins le quart des restrictions jugées nécessaires par le ministre des Finances Jim Flaherty qui se feront au détriment des populations les plus pauvres et les plus vulnérables dans les pays en développement – elles qui n’ont rien eu à voir avec le déclenchement de la crise mondiale.

Entre-temps, le besoin d’aide internationale n’a jamais été si grand. La crise a précipité près de 50 millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté et compromis les progrès réalisés pour atteindre les Objectifs de développement du millénaire des Nations Unies . Ces huit objectifs, les 192 États membres de l’ONU se sont tous engagés à les atteindre d’ici 2015 : on compte, entre autres, réduire de moitié du nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, assurer l’éducation primaire pour tous, améliorer la santé maternelle, réduire la mortalité infantile, combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies.

En outre, la communauté mondiale doit trouver d’autres façons d’atténuer l’impact des changements climatiques pour les pays en développement ou de les aider à composer avec leurs retombées. Les peuples du Nord global ont contracté une énorme dette écologique envers ceux du Sud global en abusant des ressources en combustible fossile de la planète et de sa capacité d’absorption du dioxyde de carbone. Bien sûr, cette dette écologique dépasse largement la « dette du carbone » car elle comprend aussi l’exploitation de nombreuses ressources naturelles pendant des centaines d’années et l’agression qu’ont subie cultures et modes de vie.

Bruno Jetin, maître de conférence en économie à l’Université Paris-Nord, évalue à 710 milliards $ US par année, de 2012 à 2014, le financement nécessaire pour que le Nord s’acquitte de ses obligations financières . Le besoin de ces ressources résulte, pour une part, des avis contradictoires donnés par le Fonds monétaire international aux pays développés et aux pays en développement au moment d’affronter la crise mondiale. Alors que le FMI conseillait aux pays du Nord de contracter d’énormes déficits pour stimuler la demande, il recommandait aux pays du Sud de comprimer les dépenses même si cela devait les empêcher d’atteindre leurs Objectifs de développement du millénaire.
 

Ressources annuelles additionnelles nécessaires de 2012 à 2014
Pour atteindre les Objectifs de développement du millénaire 

Pour financer l’atténuation des changements climatiques et les adaptations
nécessaires dans les pays en développement

Pour éponger les déficits budgétaires provoqués par la crise financière
dans les pays développés

Total

180 milliards $ US

170 milliards $ US

360 milliards $ US

710 milliards $ US

Une Taxe sur les transactions financières pourrait générer des revenus importants
L’Institut autrichien de recherche économique estime qu’une TTF mondiale pourrait produire des revenus annuels de 286 milliard $ US pour un taux de 0,01% et des revenus de 917 milliards $ US pour un taux de 0,1%. À un taux intermédiaire de 0,05%, les revenus annuels atteindraient environ 650 milliards $ US – ce qui serait presque suffisant pour couvrir le coût des Objectifs de développement du millénaire, pour aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques et pour éponger les déficits budgétaires des pays développés .

Avant le sommet de Pittsburgh, en septembre 2009, qui réunissait le G20 (vingt pays industrialisés et marchés en émergence), le ministre allemand des Finances Peer Steinbruck avait fait paraître dans le Financial Times un article où il expliquait comment les acteurs financiers avaient tiré « des profits importants des opérations de sauvetage gouvernementales… [mais] ne s’empressent pas » d’assumer leurs responsabilités quand il s’agit de trouver des solutions ou de payer le prix de la crise . Il proposait une TTF appliquée aux pays du G 20 de manière que tous les participants au marché financier fassent leur part pour rembourser le renflouage qu’ont assuré les États. Il proposait un taux de 0,05% sur les différents objets de transaction (actions, obligations, produits dérivés, devises étrangères) ce qui pourrait donner jusqu’à 690 milliards $ US par année, soit environ 1,4% du PNB mondial.

Une TTF s’appliquant à toutes les formes d’actifs financiers – actions, obligations, devises et produits dérivés --  représente l’application la plus ambitieuse d’une idée qui remonte à l’époque de la Grande Dépression.

La proposition originale de Keynes
L’idée d’une petite taxe appliquée aux transactions financières a d’abord été lancée par le célèbre économiste britannique John  Maynard Keynes dans les années 1930. Keynes se souciait de l’impact de la spéculation à court terme sur les cours des marchés financiers. Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Keynes écrivait que « les spéculateurs peuvent ne pas faire grand mal en tant que bulles à la surface d’un courant d’entreprise mais la situation devient grave si l’entreprise devient une bulle prise dans un tourbillon spéculatif . » Keynes proposait d'imposer une petite taxe aux transactions des marchés boursiers afin d’encourager les investisseurs à songer au long terme au lieu de spéculer, ce qui revient à deviner le comportement à court terme d’autres spéculateurs.

Dans les années 1970, le professeur James Tobin a repris l’idée de Keynes pour essayer de contenir la fluctuation excessive des cours sur le marché international des devises. En 1978, il proposait ce qu’on appelle désormais la Taxe Tobin : une taxe uniforme sur toutes les transactions internationales sur les marchés des devises, notamment sur les ventes au comptant et les ventes de disponible en vertu de contrats à terme ou d’options sur les contrats à terme.  Pour citer Tobin, « La proposition répond à un double objectif fondamental. Le premier, c’est d’augmenter l’importance qu’accordent les acteurs financiers aux principes à long terme par rapport aux occasions de spéculation immédiate. Le second, c’est d’accorder une plus grande autonomie à la politique monétaire nationale . »  La proposition originale de Tobin prévoyait une taxe de 0,5% et des revenus annuels possibles de 1500 milliards $ US.

Il vaut la peine de remarquer que Tobin lui-même qualifiait sa proposition de « pis-aller réaliste ». À son avis, il aurait été préférable d’établir « une seule devise permanente [afin d’] éviter toute cette turbulence  ». Mais il estimait qu’il faudrait encore plusieurs décennies avant de pouvoir établir une devise mondiale puisqu’il faudrait pour la soutenir une autorité monétaire centralisée, une banque centrale mondiale. Or au lendemain de la crise financière mondiale, on a recommencé à évoquer l’idée d’instituer un nouveau système financier mondial avec une devise internationale et une Banque centrale mondiale.

Depuis la publication de la première proposition de James Tobin, plusieurs universitaires et de nombreux groupes de la société civile ont fait la promotion de versions modifiées de ses idées. Certains ont mis l’accent sur la recherche de la stabilité financière alors que d’autres veulent avant tout augmenter les revenus publics. Plusieurs organisations de la société civile ont défendu une taxe minime de 0,005% dans le but avoué de prévenir les distorsions du marché. Rodney Schmidt, économiste à l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, a pu établir qu’une taxe modeste sur les transactions en devises rapporterait des revenus annuels de 33 milliards $ US .

Aujourd’hui, au lendemain de la crise mondiale, les défenseurs des taxes sur les transactions mettent de l’avant trois objectifs : percevoir des revenus, décourager la spéculation et faire payer aux institutions financières privées une part plus importante des coûts de la crise qu’elles ont provoquée.

Il est possible d’introduire graduellement une TTF
Si Peer Steinbruck veut confier au G20 le soin d'imposer une TTF mondiale sur toutes sortes d’instruments financiers, il faut comprendre qu’il est possible de progresser à petits pas vers une taxe universelle. Il n’est pas nécessaire pour aller de l’avant d’avoir fait l’unanimité sur la faisabilité d’une TTF internationale. On pourrait l’introduire graduellement, en commençant probablement en Europe, là où l’appui est le plus fort. La première étape pourrait consister à percevoir une taxe sur les instruments financiers dans quelques pays. Stephan Schulmeister, de l’Institut autrichien de recherche économique, suggère que, pour commencer, la Grande-Bretagne et l’Allemagne taxent une série d’instruments financiers puisque environ 97% des transactions dans l’Union européenne se font dans ces deux pays .

Dean Baker et ses collègues du Center for Economic and Policy Research et du Political Economy Research Institute de l’Université du Massachusetts proposent une taxe variable avec des taux différents pour différents instruments financiers vendus aux Etats-Unis . Aux États-Unis seulement, la formule produirait des revenus de 179,6 millions $ US même en prévoyant une diminution de 50% du volume des transactions .

Le professeur Bruno Jetin, de l’Université de Paris-Nord, propose une TTF qui ne s’appliquerait qu’aux échanges en devises étrangères, comme James Tobin l’avait suggéré. Cette TTF modeste rapporterait quand même des sommes importantes : 99 milliards $ US si elle était appliquée dans l’Union européenne; 158 milliards $ US si elle était en vigueur entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, et 192 milliards $ US si elle était mondiale.

De toutes les propositions avancées actuellement, celle de Stephan Schulmeister aurait la plus grande portée car elle ne toucherait pas seulement le marché des devises mais aussi toutes sortes de produits dérivés qui peuvent servir à spéculer sur la fluctuation des taux d’intérêt, des devises, des actions, du prix des produits de base et des contrats dérivés sur défaut (il s’agit d’instruments financiers créés pour compenser les risques élevés de défaillance dans le remboursement de prêts). Elle vise le caractère foncièrement spéculatif de produits dérivés qu’on était censé avoir introduits pour permettre aux investisseurs de se protéger contre la volatilité des actifs sous-jacents mais qui sont devenus en réalité des instruments spéculatifs.

Des arguments en faveur de la TTF
La Commission syndicale consultative auprès de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) résume ainsi les arguments en faveur d’une TTF : «La justification économique d’une TTF commence par la reconnaissance des effets néfastes de la spéculation à court terme qui produit des déviations fortes et persistantes des prix des actifs de leur niveau d’équilibre théorique. Ces écarts de prix produisent des bulles spéculatives sur le long terme. Une augmentation mesurée et contrôlée des coûts de transaction générée par une TTF ralentirait les volumes de transactions de façon à aligner les flux de capitaux avec les fondamentaux économiques et l’économie réelle, tout en libérant de nouvelles sources de financement des biens publics mondiaux .»

Les objections du FMI à une TTF
Les économistes du Fond monétaire international comptent parmi les opposants les plus bruyants à la TTF. Leurs objections relèvent de trois grandes catégories.

Les conséquences négatives d’une réduction du volume des transactions.
La réticence la plus importante du FMI a trait aux retombées négatives qu’aurait prétendument une réduction du volume des transactions sur la volatilité des prix et la liquidité du marché et, par conséquent, sur l’efficacité du marché.

Stephan Schulmeister répond à cette inquiétude en soulignant les données empiriques qui font état d’une liquidité excessive du marché des actifs. En fait, le volume des transactions financières dans l’économie mondiale est 73,5 fois plus élevé que le PNB nominal . Cette liquidité excessive et la volatilité excessive des prix qui en résulte entraînent pour le prix des actions, les taux de change et le cours des produits de base des déviations importantes et persistantes par rapport à leurs points d’équilibre fondamentaux.

Ces dernières années, l’importance croissante des systèmes commerciaux techniques a aussi beaucoup contribué à la volatilité du prix des actifs à court terme aussi bien qu’à long terme. Pendant une journée normale, Infinium, société de négoce qui a son siège à Toronto, fait entre 500 000 et 1 million de transactions en fonction d’algorithmes informatiques qui « colligent et interprètent les données du marché, et réagissent en achetant ou en vendant des titres en quelques millisecondes (millièmes de secondes) ou même en quelques microsecondes (millionièmes de seconde ) ». Selon certaines estimations, ces transactions à haute vitesse représentent le quart des opérations sur actions au Canada et de 60 à 70% de ces opérations aux États-Unis.

Schulmeister décrit le rôle joué par la spéculation excessive à la fois dans la phase d’emballement et dans l’effondrement caractéristiques de la crise actuelle. L’implosion financière de 2008-2009 a suivi un triple boom dans le cours des actions (2003-2007), le prix des maisons (1998-2005) et le cours des produits de base (2007-2008), qui ont tous été gonflés par la spéculation. Entre le printemps 2008 et le printemps 2009, ces trois marchés se sont effondrés de manière dramatique. « La chute du cours des actions et des produits de base a été aggravée par le commerce technique arrimé aux tendances, qui a pris d’énormes positions à découvert sur les marchés des produits dérivés correspondants. Étant donné la force extraordinaire de ces « marchés baissiers », les fonds de couverture (hedge funds) qui utilisent ces modèles (il s’agit souvent de ‘systèmes commerciaux automatisés’) ont fait état de rendements plus élevés que jamais . »

L’incidence sur les petits investisseurs
La deuxième objection du FMI contre la TTF concerne les coûts additionnels qu’elle pourrait entraîner pour les investisseurs « de la classe moyenne ». Dean Baker réplique que les petits investisseurs ne font pas beaucoup de transactions. Leur but est d’épargner pour la retraite ou pour les études de leurs enfants, et non de faire fortune en jouant constamment avec leurs actifs.  Schulmeister souligne que, dans sa proposition, ce ne serait pas toutes les transactions entre les clients (ménages et entreprises) et les institutions financières qui seraient soumises à la TTF. Par exemple, si une personne individuelle demande à son courtier d’acheter ou de vendre des actions ou un contrat à terme, seul le transfert d’actifs serait taxé mais non la somme payée par le client au courtier.

Certains font valoir que les banques et les courtiers refileraient à leurs clients le coût d’une TTF, en augmentant par exemple les frais de service. Même si c’était le cas, l’impact ne serait pas très onéreux. Une taxe de 0,05% sur un achat d’actions de 1000 $ ne coûterait que 50 cents à l’investisseur. Un pareil montant ne découragerait pas ceux qui font des placements à long terme mais pourrait dissuader ceux qui ne veulent acquérir des titres que pour une courte période de temps pour les revendre en profitant de la fluctuation des cours.

La capacité des négociateurs de refiler le plein montant de la taxe varierait avec l’instrument financier. Les institutions financières qui transigent en leur nom propre plutôt qu’au nom de leurs clients devraient absorber la taxe. Ainsi seraient-elles dissuadées de faire des transactions sur une différence de cours inférieur au taux de la taxe.

L’évasion fiscale
La troisième objection du FMI évoque la possibilité d’une évasion fiscale en masquant les transactions ou en ayant recours aux paradis fiscaux.

La recherche de Rodney Schmidt montre que le fait de percevoir la taxe au point où la transaction est soit autorisée soit conclue, indépendamment de l’endroit où se trouve le parquet ou du lieu où se fait la transaction, rend l’évasion fiscale beaucoup plus difficile. Il explique que toutes les transactions financières d’envergure se font en trois étapes. Premièrement, les négociateurs conviennent d’une transaction; ensuite, leurs banques apparient les deux côtés de la transaction par le biais d’un système centralisé d’autorisation; et finalement, les deux instruments financiers sont transférés simultanément à un système centralisé de règlement. Par conséquent, la taxe peut facilement être perçue aux quelques endroits où toutes les transactions sont finalement autorisées ou conclues .

Il est possible pour un pays d’appliquer unilatéralement une taxe sur les transactions financières sans provoquer d’importantes fuites de capitaux. D’ailleurs, il existe déjà plusieurs exemples de taxes de ce genre. La Grande-Bretagne perçoit un « droit de timbre », une taxe de 0,05% sur les achats d’actions de sociétés britanniques, que la transaction se fasse au Royaume-Uni ou à l’étranger. Il y a déjà des taxes sur les transactions financières en Autriche, en Grèce, au Luxembourg, en Pologne, au Portugal, en Espagne, en Suisse, à Hong Kong, en Chine et à Singapore. L’État de New York perçoit un droit sur les transactions qui se font à la Bourse de New York et à la bourse NASDAQ.

Le débat politique
Depuis que le ministre allemand des Fiances a évoqué la possibilité d’une TTF mondiale en septembre 2009, les dirigeants de la majorité des pays du G7 en ont approuvé l’idée. Lors de la conférence de l’ONU à Copenhague sur les changements climatiques, le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique Gordon Brown ont approuvé la TTF pour financer l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement. La chancelière allemande Angela Merkel a plusieurs fois exprimé son appui. Le vice-ministre japonais des Finances Naoki Minezaki a appuyé une TTF . Des représentants du gouvernement australien et l’ancien gouverneur de la Banque centrale de l’Inde, deux pays du G20, ont appuyé la TTF.

Se sont aussi prononcés en faveur d’une TTF Lord Adair Turner, président de l’Autorité britannique des services financiers, et les financiers milliardaires George Soros et Warren Buffet. Les membres du Parlement européen ont passé une motion favorable et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a réclamé une TTF, comme aussi les gouvernements de la Belgique et de l’Autriche. Trois cent cinquante économistes de plusieurs dizaines de pays ont publié une lettre ouverte demandant une TTF .

Pendant la campagne présidentielle américaine, Barack Obama a appuyé l’idée d’une taxe sur les transactions financières aux États-Unis. Dans un discours prononcé à La Crosse, dans le Wisconsin, le 1er octobre 2008, il  déclarait : « J’ai proposé une Taxe de stabilité financière sur l’industrie des services financiers de manière que ce soit Wall Street qui paie la note – et pas le contribuable américain. Et en modernisant le système financier avec une nouvelle réglementation afin de prévenir une nouvelle crise, nous allons conserver cette taxe afin de constituer une réserve pour que, si jamais cela ce produisait de nouveau, ce soit l’argent versé par les banques qui soit mis en jeu . »

Paul Volcker, président de la banque centrale des États-Unis de 1979 à 1987, est un conseiller influent du président Obama. Volcker a dit à un Comité des services financiers de la Chambre des représentants qu’il est « très intéressé [par l’idée d’une TTF]… Peut-être qu’une lourde taxe imposée aux ingénieurs financiers [les dissuadera de fabriquer] si rapidement … tous ces instruments financiers très complexes et très opaques  ».

Quand les ministres des Finances du G20 se sont réunis en Écosse, le 7 novembre 2009, le premier ministre britannique Gordon Brown a fait les manchettes avec un discours en faveur d’une TTF pour contraindre les institutions financières privées à rembourser une partie du coût de la crise financière mondiale. Cependant, le ministre canadien des Finances Jim Flaherty, le secrétaire américain au Trésor Timothy Geithner et le directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn ont rejeté l’ouverture de Brown.

La réunion des ministres des Finances du G7 à Iqaluit
Quand Jim Flaherty a convoqué une réunion des ministres des Finances du G7 à Iqaluit, dans le Nunavut, les 5 et 6 février 2010, les ministres britannique, français et allemand sont tous arrivés avec le mandat d’appuyer une Taxe sur les transactions financières internationales.

Un rapport d’Iqaluit relevait que le secrétaire américain au Trésor Timothy Geithner « s’était rallié à l’idée » d’une sorte de taxe mondiale . La ministre française de l’Économie Christine Lagarde a annoncé : « Nous étions tous d’accord pour que ce soit une taxe ou un droit universel …  »

Après Iqaluit, le débat s’est déplacé : il ne s’agissait plus de savoir s’il devait y avoir une taxe mais de décider quelle sorte de taxe appliquer. Serait-ce une taxe s’appliquant à toutes les transactions financières? Ou faudrait-il exiger que les sociétés financières cotisent à des fonds d’assurance? Ou la taxe s’appliquerait-elle aux bénéfices exceptionnels engrangés au lendemain de la crise financière? Ou s’agirait-il d’une combinaison de ces options?

Des trois options, c’est le programme d’assurances qui est le moins constructif parce qu’il ne s’appliquerait qu’aux crises à venir et pourrait même inciter les banques à présumer qu’elles seraient automatiquement renflouées si elles se retrouvaient en eaux troubles. De plus, l’argent placé dans un fonds d’assurance ne pourrait pas servir à produire des biens publics mondiaux. Et puis, ce régime ne préviendrait aucunement la fluctuation subite des cours.

Une taxe sur les profits excessifs représente une solution possible car elle suppose que les banques paieraient une partie du coût d’une crise qu’elles ont contribué à provoquer. Martin Wolf fait valoir dans le Financial Times que ces bénéfices exceptionnels proviennent de « l’argent gratuit fourni par les banques centrales… Il est raisonnable de recouvrer non seulement les coûts fiscaux directs des banques d’épargne mais aussi une partie des coûts fiscaux plus larges de la crise … »  La taxe pourrait s’inspirer des frais afférents à la responsabilité pour la crise financière, proposés par le président Obama : s’ils étaient approuvés par le Congrès des États-Unis, ils prélèveraient 90 milliards $ US en dix ans auprès des banques américaines ayant des actifs de plus de 50 milliards $ US. Mais cette taxe s’éteindrait après dix ans et ne porterait que sur le remboursement de la crise actuelle sans rien faire pour en prévenir une autre.

Le 30 mars 2010, le nouveau ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble annonçait des plans pour « une taxe bancaire mesurée » qui forcerait les banques allemandes à payer entre 1 et 1,2 milliard € par année à un fonds destiné à couvrir les renflouements financiers lors d’une prochaine crise . La ministre française de l’Économie Christine Lagarde a assisté à la séance du conseil des ministres allemand qui a pris cette décision; elle l’a qualifiée de « contribution très utile au débat international » sur la réglementation financière. M. Schäuble a annoncé qu’il « modifierait » son plan si des accords internationaux l’exigeaient, ce qui laisse entendre que le débat sur le genre de droits ou de taxe à appliquer est loin d’être terminé. L’alliance de la société civile allemande en faveur d’une TTF a critiqué la décision de son gouvernement : elle la juge inadéquate parce que les revenus seraient trop faibles et parce qu’elle ne s’appliquerait qu’à de futures crises sans rien faire pour prévenir la spéculation téméraire.

Mme Lagarde a déclaré que la France introduirait une taxe analogue, dont les revenus iraient au budget de l’État plutôt que dans un fonds d’assurance spécial. Elle a ajouté qu’une taxe bancaire et une TTF ne sont pas nécessairement « mutuellement exclusives », mais que la taxe bancaire est susceptible de progresser plus rapidement que la taxe sur les transactions financières .

Alors que le G20 envisage d’aborder ces questions lors de son sommet de Toronto en juin 2010, l’opposition la plus tonitruante à la TTF provient du gouvernement canadien. Dans un discours prononcé au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, en janvier 2010, le premier ministre Harper a déclaré que, tout en appuyant une réglementation plus stricte, « le Canada n’optera pas pour une réglementation excessive, arbitraire ou punitive de son secteur financier  ». Il allait devenir évident que le premier ministre entend se servir l’influence que lui confère son rôle d’hôte du G20 pour « tuer la proposition » d’une TTF, en partie parce qu’elle va à l’encontre de la politique de son gouvernement qui favorise une baisse des impôts .

L’opposition du gouvernement canadien à toute forme de taxe sur les transactions financières a pris de court les dirigeants européens. Comme l’a confié un diplomate européen au journal Embassy, « nous avons été vraiment surpris, surtout à la lumière du chemin parcouru à Iqaluit . »

Le débat autour de la TTF va gagner en intensité au cours des prochains mois. En avril 2010, le FMI doit rendre public un rapport réclamé par le G20 au sommet de Pittsburgh. Il portera sur « l’éventail d’options que les pays [pourraient envisager] pour que le secteur financier apporte une contribution équitable et substantielle au remboursement des dettes occasionnées par les interventions gouvernementales visant à réparer le système bancaire ».On prévoit qu’au lieu d’endosser ou de rejeter complètement la TTF, le FMI se contentera de la présenter comme une option parmi d’autres.

Comme l’a montré le présent essai, la TTF est à la fois techniquement réalisable et économiquement souhaitable vu les énormes revenus qu’elle fournirait pour éponger les déficits gouvernementaux, soutenir les Objectifs de développement du millénaire et financer les stratégies d’adaptation aux changements climatiques. En fin de compte, ce seront les politiciens décideront de son sort. Heureusement, ses défenseurs voient grossir leurs rangs et leur force politique. Si le gouvernement Harper réussit à bloquer une décision au sommet du G20 à Toronto, on prévoit que la question reviendra à l’ordre du jour du sommet suivant, à Séoul, en novembre 2010.

Conclusion
Une taxe sur les transactions financières est une mesure d’équité politique et de justice sociale. Une taxe mondiale de 0,05% pourrait aller chercher quelque 650 milliards $ US par année, assez pour remettre sur ses rails le programme des Objectifs de développement du millénaire, aider les pays en développement à gérer leur adaptation au changement climatique et rembourser aux États les sommes qu’ils ont versées pour renflouer les institutions financières. Une TTF ferait passer le fardeau de la sortie de crise des épaules du grand public à celles du financier, de l’imposition des salaires et de la consommation à l’imposition de la spéculation financière, ce qui rendrait le système fiscal plus équitable.

Recommandation
Le Canada devrait soutenir l’imposition d’une taxe mondiale de 0,05 pour cent sur les opérations financières applicable à toutes les transactions effectuées sur les marchés financiers. Cette taxe porterait sur toutes les transactions financières effectuées par l’entremise des marchés boursiers, des marchés à terme ou de tout autre mécanisme établi par les intervenants sur les marchés financiers en vue d’effectuer des transactions financières. Cinquante pour cent des sommes générées devraient être utilisés pour la relance économique tant au Nord qu’au Sud, pour lutter contre le déficit et rembourser la dette publique. Les 50 pour cent restants devraient être utilisés pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, à s’adapter aux effets des changements climatiques et à en réduire les risques.

Pour en savoir plus, veuillez prendre contact avec John Dillon, coordonnateur du Programme de justice économique, jdillon@kairoscanada.org.