Le retour de la crise de l’endettement
La crise financière mondiale a détourné l’attention sur les dettes des pays comme la Grèce et sur les mesures d’austérité qui causent d’immenses souffrances humaines. Cependant, on a perdu de vue que les pays en voie de développement ont aussi été sévèrement touchés par la crise financière, les exportations ont chuté, les transferts de fonds des travailleurs immigrants ont baissé et les investissements externes ont décliné. À la fin de 2010, les pays en voie de développement devaient 4 000 milliards de $ aux prêteurs.Tandis que de nombreux pays sub-sahariens ont vu leurs dettes se réduire grâce à l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), cela n’a pas été le cas pour d’autres. Par ailleurs, les niveaux de dette des pays qui ont bénéficié de cette Initiative atteignent actuellement des niveaux similaires à ceux du passé. En 2009, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a tiré la sonnette d’alarme sur le fardeau insoutenable de l’endettement pour 49 pays les moins développés. 15 pays en voie de développement courent actuellement le risque de se trouver dans l’impossibilité de rembourser leur dette.
Lorsque la dette devient intolérable, les pays en voie de développement ont peu d’options d’allègement de leur dette. Ils peuvent se mettre en défaut de paiement mais risquent de se retrouver sur les listes noires des marchés financiers internationaux. Ils peuvent essayer de renégocier avec les forums de créanciers comme les clubs de Londres ou de Paris. Ils peuvent aussi chercher un allègement du côté des initiatives multilatérales telles que l’IPPTE. Mais ces deux dernières options sont contrôlées par les créanciers qui établissent les règles et conditions du remboursement de la dette.
On reconnaît de plus en plus la nécessité de nouvelles procédures d’apurement de la dette équilibrant les droits et obligations des bailleurs de fonds, investisseurs et emprunteurs tout en protégeant les droits et le bien-être des citoyens. Au fil des ans, bon nombre de propositions ont été présentées mais elles n’ont guère avancé. Cephas Lumina, expert indépendant de l’ONU, a récemment publié Guiding Principles on Foreign Debt and Human Rights pour examiner les effets de la dette extérieure sur tous les droits de l’homme. Toutes ces questions doivent d’urgence mobiliser l’attention internationale.
Dette odieuse
L’expression « dette odieuse » a été inventée en 1927 par le juriste russe Alexander Nahum Sack. Les dettes odieuses sont définies par trois conditions : en premier lieu, les dettes sont contractées sans le consentement du public, généralement par les régimes non démocratiques; en second lieu, les fonds empruntés sont utilisés à des fins privées plutôt que dans l’intérêt du public et en troisième lieu, les bailleurs de fonds sont au courant, ou devraient l’être, des deux premières conditions.
Le principe de dette odieuse ou illégitime a été légalement reconnu au Royaume-Uni et aux États-Unis. En 1923, William Taft, Président de la Cour suprême des États-Unis, a tranché un litige entre la Banque Royale du Canada et le gouvernement du Costa Rica. La banque avait prêté des fonds au dictateur du Costa Rica, Frederico Tinoco, juste avant la chute de son régime. Le prêt avait ensuite été utilisé pour subvenir aux besoins personnels de Tinoco en exil. Pour la banque, c’était alors le nouveau gouvernement qui était légalement tenu d’honorer la dette. Taft a statué en faveur du gouvernement costaricain, laissant à la banque la charge de prouver que les fonds avaient été utilisés à des fins légitimes. La banque, dit-il, savait que le prêt était destiné à l’usage personnel du dictateur.
Il existe de nombreux exemples de dettes odieuses contractées par des régimes despotiques. Dans Africa’s Odious Debts, Ndikumana et Boyce rapportent que plus de la moitié de l’argent emprunté par les gouvernements africains des pays sub-sahariens entre 1970 et 2008 est ressorti du continent la même année, la plus grosse partie allant grossir des comptes privés ouverts, comble de l’odieux, dans les mêmes banques qui avaient à l’origine octroyé les prêts.
L’impunité associée à l’illégitimité de la dette persiste car il n’existe pas de mécanisme international impartial pour statuer sur les cas. Au fil des ans, de nombreuses propositions ont été faites pour pallier aux dettes odieuses ainsi qu’aux niveaux de dettes insoutenables. Parmi les suggestions, il faut noter l’élaboration de l’équivalence au niveau international du Chapitre 11 de la Loi américaine sur les faillites (Bankruptcy Code). Une autre idée était la création d’un Tribunal d’arbitrage de la dette souveraine sous l’égide des Nations Unies. Une autre proposition était la création d’un Tribunal de la dette souveraine, chargé d’examiner les cas de dettes insoutenables ainsi que la légitimité des réclamations des créanciers individuels. Aucune de ces propositions n’a jamais été mise en place.
Toutes ces idées ont un grand mérite et devraient être sérieusement envisagées. Le Parlement norvégien s’est engagé « à s’efforcer d’établir des mécanismes pour abolir les dettes internationales et traiter les dettes illégitimes [et] à favoriser un ensemble de règlements internationaux contraignant pour des prêts responsables. » Les gouvernements de l’Allemagne et des Pays-Bas ont également appuyé une nouvelle approche en matière de procédures d’apurement de la dette souveraine. Nos collègues d’Eurodad ont proposé un ensemble de principes visant à guider l’élaboration d’un système international d’apurement de la dette (voir LES FAITS).
Ndikumana, L., and Boyce, J.K., Africa’s Odious Debts, How Foreign Loans and Capital Flight Bled a Continent, Zed Books, 2011
Rapports de l’expert indépendant de l’ONU sur la dette et les droits de l’homme : www.ohchr.org/EN/Issues/Development/IEDebt/Pages/AnnualReports.aspx
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G12/128/81/PDF/G1212881.pdf?OpenElement (français)
Évaluations de la détresse liée à la dette envers le FMI et la Banque mondiale, mars 2012
Risque de défaut de paiement :
En défaut de paiement : Les Comores, Côte d’Ivoire, Guinée, Soudan, Zimbabwe.
Risque élevé : Afghanistan, Burkina Faso, Burundi, DR Congo, Djibouti, Gambie, Grenade, Haïti, Kiribati, Laos, Maldives, Sao Tome et Principe, Tadjikistan, Tonga, Yemen.
Risque moyen : Bhutan, République d’Afrique centrale, Tchad, Dominique, Georgia, Ghana, Guinée-Bissau, Guyane, République Kyrgyz, Lesotho, Malawi, Mali, Mauritanie, Népal, Nicaragua, Niger, Papouasie Nelle-Guinée, Rwanda, Sierra Leone, Iles Salomon, St. Lucia, St. Vincent et les Grenadines, Togo.
Les organismes de crédit à l’exportation et la dette
Les organismes de crédit à l’exportation sont des institutions publiques dans les économies développées et émergentes qui favorisent les intérêts commerciaux nationaux. Ces organismes fournissent des crédits et des garanties de crédit aux gouvernements des pays en voie de développement afin d’améliorer l’achat de marchandises et de services en provenance des pays d’Europe et d’Asie centrale (ECA). Souvent, lorsqu’un pays en voie de développement est en défaut de paiement sur un crédit ECA, le gouvernement qui fonctionne avec l’EAC rembourse la dette et réduit son budget d’aide du montant équivalent auprès du gouvernement en défaut de paiement. Ce type d’utilisation des fonds d’aide, qui sont destinés au développement mais qui annulent la dette commerciale, est totalement inapproprié. Les récentes recherches d’Eurodad ont analysé la dette des pays en voie de développement envers quatre pays européens. L’analyse a trouvé que pratiquement 80 % de la dette provient des crédits à l’exportation plus que des subventions au développement. Selon le rapport, 85 % de la dette bilatérale qui a été annulée entre 2005 et 2009 par cinq pays européens a été généré grâce à des garanties de crédits à l’exportation.
Exporting Goods or Exporting Debt? Export Credit Agencies and the Roots of Developing Country Debt, Eurodad, 2011
http://eurodad.org/4735/ (en anglais)
« Les chiffres du offshore revus »: Réseau mondial pour la justice fiscale
Un rapport de recherche de juillet 2012 estime que la richesse financière privée accumulée offshore se situe entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars, plus que la production économique annuelle des États-Unis et du Japon combinés. Ces actifs offshore qui appartiennent à une élite sont nettement supérieurs au montant net de la dette extérieure d’un sous-groupe de 139 pays comprenant les pays en voie de développement les plus importants. Alors que les actifs sont détenus par un petit nombre de riches individus, les dettes pèsent lourdement sur les épaules des populations ordinaires de ces mêmes pays. Ces chiffres soulèvent de sérieuses questions quant à la précision des estimations actuelles sur l’inégalité et les revenus nationaux. L’auteur du rapport conclue qu’en termes de lutte contre la pauvreté, il est difficile d’imaginer un problème mondial plus urgent à résoudre.
The Price of Offshore Revisited, Tax Justice Network, Juillet 2012
http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Price_of_Offshore_Revisited_120722.pdf (en anglais)
LES FAITS : Principes des nouvelles procédures d’apurement de la dette souveraine
Eurodad a présenté une liste de dix principes qui devraient être appliqués dans une nouvelle approche de procédures équitables d’apurement de la dette. Cette année, Eurodad et d’autres groupes internationaux sont en train d’organiser une campagne internationale visant à promouvoir l’adoption d’un modèle d’apurement de la dette basé sur ces principes :
1. Création d’un organe indépendant de créanciers : une nouvelle procédure d’apurement de la dette doit être indépendante de toute institution ou organe de créanciers afin d’obtenir une uniformisation des règles du jeu et l’appui de la communauté internationale.
2. Indépendance des arbitres : les décisionnaires doivent être neutres, impartiaux et indépendants de toutes les parties impliquées.
3. Être mandaté pour vérifier la validité des réclamations individuelles sur la base d’allégations d’illégitimité : des arbitres indépendants décideront de la légitimité des réclamations individuelles sur la base claire d’indicateurs et critères de dette illégitime.
4. Être mandaté pour traiter les problèmes généralisés de remboursement de dette souveraine : des arbitres indépendants décideront de la légitimité des réclamations. Les réclamations légitimes de créanciers seront alors traitées selon un processus détaillé et tous les créanciers seront traités de manière juste et équitable.
5. Le processus peut être enclenché par l’emprunteur ou le prêteur et l’institution d’une suspension automatique s’appliquera : pendant que l’affaire est entendue, il y aura arrêt de tous les remboursements de la dette extérieure dans le cas de défaut de paiement de la dette souveraine ou de tous les prêts individuels légitimes ou illégitimes en litige.
6. Évaluation de la situation économique d’un pays endetté par un organe neutre : dans le cas de défaut de paiement de la dette souveraine, une analyse de la viabilité de la dette doit être menée par un organe indépendant tel qu’une agence de l’ONU. L’analyse guidera les décisions des arbitres pour savoir dans quelle mesure les créanciers légitimes doivent être remboursés.
7. Protection des obligations fondamentales de l’État pour répondre aux besoins et services essentiels des citoyens : l’État doit être assuré des ressources dont il a besoin pour garantir la prise en charge des services pour ses citoyens.
8. Transparence : les négociations sur la dette souveraine doivent être publiques et les résultats et accords doivent l’être également.
9. Participation : la procédure doit être participative et tous les intervenants ont le droit d’être entendus, que ce soit les emprunteurs, les prêteurs et les individus ou organisations représentant les citoyens de la nation en dette affectée par les décisions prises par les arbitres. En règle générale, les procédures doivent se tenir dans la capitale du pays endetté.
10. Applicabilité : Toutes les parties doivent respecter la décision des arbitres indépendants. Un traité international établissant un mécanisme d’apurement de la dette souveraine ratifié par la plupart des nations serait extrêmement utile, bien qu’il ne soit pas indispensable pour progresser dans ce domaine.
Eurodad, A Fair & Transparent Debt Work-out Procedure
www.eurodad.org/uploadedfiles/whats_new/report/eurodad%20debt%20workout%20principles_final.pdf